Prêche #36 « Les dons de Dieu » (21 octobre 2022, Anne-Sophie Monsinay)

Le don des Révélations : don de la Torah mais pas don du Coran ?

Le terme de « don » est très fréquemment utilisé dans le Coran pour évoquer la révélation de la Torah et de l’Evangile. En revanche, pour le Coran, le mot utilisé évoque davantage une « descente » de la révélation plutôt qu’un don. Les nombreux versets traitant du processus de révélation utilisent un terme arabe issu de la racine nazala qui signifie « descendre, venir dans un lieu pour d’y fixer, s’installer, demander l’hospitalité » mais aussi « s’abaisser » avec l’idée que Dieu réduit Sa puissance pour se rendre accessible à l’être humain en rendant Sa Parole compréhensible pour lui. Cela passera bien sûr par l’emploi de la langue arabe qui a été choisi non pas parce qu’elle serait une langue plus sacrée qu’une autre ou la langue de Dieu mais parce qu’elle est une langue « claire », la langue du peuple récipiendaire de la Révélation, rendant ainsi le contenu compréhensible par tous. Cela signifie également que le contenu du Coran prend en compte les réalités contingentes, le quotidien des arabes de l’époque de la Révélation et que Dieu adapte son discours en fonction de ces événements. C’est pour cela que le Coran insiste sur la distinction à faire entre le texte révélé que nous avons aujourd’hui entre les mains et la « mère du Livre » (Oum al kitab) qui comprend l’intégralité des Paroles de Dieu dont le Coran n’est qu’une toute petite partie qui se limite à la compréhension humaine. Des vérités absolues s’y trouvent bien mais elles restent voilées et ne se révèlent qu’à ceux qui se purifient pour y accéder. Tel est le sens des versets 77 à 79 de la sourate 56 :

Vraiment, voici un noble Coran, dans une Ecriture cachée, que seuls touchent les purifiés. (Coran 56 : 77-79)

Ce verset est souvent utiliser pour justifier qu’une femme ayant ses règles ne pourrait pas toucher le Coran. La purification est alors comprise dans son sens rituel à savoir des ablutions qui excluraient les femmes en période de menstrues. Tout d’abord, les menstrues ne sont pas liées à un état d’impureté rituelle (cf https://www.voix-islam-eclaire.fr/2021/05/15/khutba-24-fete-de-la-rupture-du-jeune-aid-el-fitr-limpurete-anne-sophie-monsinay-13-mai-2021/ ), mais surtout il ne s’agit pas ici d’un état d’ablution puisque le Coran évoque l’accès à une écriture cachée. Il s’agit donc d’un sens symbolique et figuré du terme « touché » qui désigne la compréhension profonde des versets coraniques. Cette compréhension profonde est indépendante d’un état d’ablution. En revanche, elle est impossible sans une purification du coeur et de l’âme du croyant.

En revanche, il est intéressant de remarquer que le Coran reprend la notion de don pour parler de la Révélation de la Torah ou de l’Evangile :

Nous avons ensuite donné le Livre à Moise : il est parfait pour celui qui l’observe de son mieux ; c’est une explication de toute chose ; une Direction et une Miséricorde. (Coran 6 : 154)

Nous avons déjà donné à Moïse et à Aaron le Livre du discernement qui est à la fois lumière et guide pour les gens pieux. (Coran 21 : 48)

Nous lui (Jésus) avons donné l’Evangile, dans lequel sont Guidance et Lumière, confirmant ce qui est toujours actuel pour lui de la Thora, comme Guidance et Exhortation, pour ceux qui prennent garde. (Coran 5 : 46)

Cela sera également le cas pour parler de la science offerte par Dieu à David et Salomon :

Nous avons fait don d’une part de Notre science à David et à Salomon, et ils dirent : «Louange à Dieu qui nous a favorisés par rapport à beaucoup de Ses fidèles serviteurs !» (Coran 27 : 15)

Dans ces 4 versets, on retrouve le terme atayna (Alif ta ya) qui signifie « donner, venir, procurer, apporter, offrir » donc bien l’idée d’un don, d’un cadeau de Dieu. Comment expliquer cette différence de vocabulaire entre Torah/Evangile d’une part et Coran d’autre part ? Une des pistes qui peut être avancée serait la volonté divine de reprendre les éléments de langage utilisés dans ses révélations antérieures pour marquer la continuité de Sa nouvelle Révélation. En effet, la Torah elle-même décrit sa révélation comme un don. En utilisant une nouvelle terminologie, le Coran met l’accent sur un nouveau procédé de Révélation, chacune de ces dernières étant singulière.

Les dons perçus comme des bienfaits

La plupart des versets coraniques évoquant le don utilisent le terme ni’ma (نِعْمَةَ ) qui signifie « bienfait, faveur, grâce, bienveillance, agréable, être bon, réussir ». Ce don est ressenti par celui qui le reçoit comme quelque chose d’agréable qui permet de prospérer. On peut observer deux grandes catégories de dons divins : ceux qui sont conditionnés et pour lesquels Dieu attend un retour de notre part et ceux qui sont inconditionnels et sans attente de contrepartie.

Les dons conditionnés

Ces dons sont décrits comme des récompenses pour de bonnes actions ou comme une faveur en échange d’une alliance, d’un engagement à la fidélité et à l’adoration à un Dieu unique.

L’alliance que Dieu réalise avec les enfants d’Israël par la Révélation de la Torah est la conséquence des prodiges que Dieu à effectuer pour sauver les hébreux de Pharaon. Cette alliance étant déjà la rétribution d’une Alliance initiale réalisée avec Abraham. Les miracles et la sortie d’Egypte sont présentés comme un don de Dieu qui sert en quelque sorte de monnaie d’échange pour obtenir la foi et la fidélité des israélites en retour. Une fois l’adhésion obtenue, Dieu fera un nouveau don, celui de la Torah, suite auquel il attendra également une adhésion de la part de israélites qui se devront de suivre les enseignements et les prescriptions qui y figurent. Il ne faut pas voir dans ce procédé un quelconque intérêt de la part de Dieu qui donnerait en espérant quelque chose en retour et de manière intéressées à l’instar de certains humains. Dieu est autosuffisant, Il n’a nul besoin de notre adoration. S’Il attend quelque chose de notre part, c’est simplement d’établir et de maintenir une relation avec Lui, pour notre propre intérêt et non pour le Sien. Car contrairement à Lui, nous avons besoin de Lui. Il s’agit donc davantage d’un échange visant à établir une relation entre la créature et Son créateur. Cet échange est bien exposé dans les versets 6 et 7 de la sourate 14 :

Moïse dit à son peuple : « Rappelez-vous la faveur (ni’ama) de Dieu à votre égard lorsqu’Il vous a sauvés des sujets de Pharaon qui vous infligeaient le dommage de la correction, et immolaient vos fils, et forçaient vos femmes à vivre honteusement. Et en cela, pour vous, une mise à l’épreuve sans commune mesure venant de votre Enseigneur. » Lorsque votre Seigneur proclama : « Si vous êtes reconnaissants, sûrement Je vous comblerai, et si vous déniez, vraiment, rigoureuse sera Ma correction ! (Coran 14 : 6-7)

Dans ces versets, Dieu attend une reconnaissance pour les miracles et la délivrance d’Egypte. Si cette reconnaissance est présente, Dieu dispense de nouveaux dons.

On retrouve cette même idée par l’Alliance que Dieu conclut avec les premiers musulmans, accompagnée de bienfaits, en échange de leur adhésion à la Révélation :

Rappelez-vous le bienfait de Dieu à votre égard, et Son Alliance (mithak) par laquelle Il S’est allié avec vous quand vous avez dit : « Nous avons entendu et nous avons obéi. » (Coran 5 : 7)

Ici encore, des bienfaits initiaux – non précisés dans le verset mais on peut évoquer par exemple la protection de Dieu des premiers musulmans face à l’hostilité des mecquois idolâtres – sont attendus une adhésion et une obéissance suite à quoi une Alliance sera conclue.
Aujourd’hui, nous pouvons percevoir le don conditionné dans des situations dans lesquelles Dieu accorde un bienfait à quelqu’un dans l’espoir de voir cette personne revenir à Lui et à Son adoration.

Le don peut aussi être la récompense de la foi et des bonnes actions du croyant. C’est ainsi que sont présentés les bienfaits du Paradis qui viennent rétribuer le croyant pour son attitude lors de sa vie terrestre. Dans ce cas, le Coran utilisera d’autres termes pour parler du don comme A’Taa (don sans contrepartie, libéralité, présent, cadeau, offrande) ou la racine « ra zay qaf » (pourvoir une subsistance, pourvoir du nécessaire, accorder, donner) :

Ne Lui échappe, ni le poids d’une fourmi dans les cieux, ni sur la terre, ni plus insignifiant, ni plus important, sans que cela soit dans une Ecriture explicite, afin qu’Il rétribue ceux qui ont mis en œuvre le Dépôt confié et accompli les œuvres intègres. Pour ceux là : un recouvrement et une subsistance généreuse. (Ra zay Qaf) (Coran 34 :3-4)

On constate que les descriptions paradisiaques font souvent l’étalage de bienfaits matériels et sensoriels (fruits et denrées en abondance dans de beaux jardins, habillés de luxueux bijoux et parures…) alors qu’elles décrivent un univers par définition immatériel, au-delà du monde terrestre que nous connaissons actuellement. Nos sens sont les premiers récepteurs de ce que nous considérons comme bon et agréable. Or, rappelons nous que ni’ma renvoie justement au bienfait perçu comme agréable : nous apprécions ou rejetons ce que nous pouvons voir, entendre, gouter, toucher. Par conséquent, pour rendre perceptible un monde immatériel et inconnu, seul un langage humain faisant appel à nos sens sera approprié bien que limité. Si on devait décrire notre monde physique à un bébé qui se trouve dans le ventre de sa mère, nous serions obligé de modeler notre description en fonction de l’univers qu’il peut percevoir, à savoir l’utérus et le ventre de sa mère. Cela limitera considérablement la précision de notre récit. Il en est de même avec les descriptions du Paradis et de l’Enfer dans le Coran. Par ailleurs, ces descriptions utilisent un vocabulaire et un imaginaire adapté à ce que les habitants de la péninsule arabique du 7ème siècle étaient susceptible d’apprécier ou de craindre. Ainsi, le Paradis fait l’éloge de l’ombre et de la fraicheur pour des individus vivant dans un pays très chaud ; et l’Enfer évoquera une souffrance faite de chaleur et de flamme, renvoyant ainsi à la chaleur torride du soleil du désert. Les soufis en déduisent que ces lieux renvoient à davantage à des états intérieurs : un état de bien-être absolu pour le Paradis et un état de souffrance pour l’Enfer. Ces deux états opposés sont aussi ceux que nous rencontrons lors de notre vie terrestre en fonction de l’état de notre âme. En sommes, le Paradis et l’Enfer ne sont que le prolongement de l’état de notre âme de notre vivant, et nous nous trouvons déjà soit dans l’un soit dans l’autre. La plupart des gens passent souvent de l’un à l’autre dans une même journée. Par le travail spirituel, les mystiques cherchent à faire perdurer le plus possible l’état intérieur du Paradis, c’est à dire un état de paix et d’équanimité.

Les dons inconditionnels

Le don est offert sans contrepartie comme un cadeau, un bienfait, une grâce de Dieu qui nous sauve ou prémunit d’un malheur ou d’une difficulté. Précisons d’ailleurs que la majorité des versets du Coran évoquant des dons par le terme ni’ma (bienfaits) entrent dans cette catégorie. C’est par exemple par une grâce de Dieu que Jonas est sauvé du ventre du poisson (Coran 68 : 49) ou que les croyants peuvent profiter et s’émerveiller de disposer de montures et de navires pour se déplacer :

C’est Lui qui a créé les couples de toutes sortes. Et Il a mis à votre disposition des vaisseaux et des bêtes que vous montez, afin que, sur leurs dos, vous vous installiez, puis quand vous vous y êtes installés, vous vous rappeliez le bienfait de votre Seigneur et disiez : « Louange en Celui qui nous les a assujetties alors que nous n’étions pas capables de les domestiquer ! (Coran 43 : 12-13)

Les animaux et les navires étaient les principaux moyens de transport à l’époque de la Révélation coranique, les uns pour les voyages terrestres, les autres pour la mer. Ils permettaient les échanges commerciaux et les relations humaines entre les tribus. Le verset invite à ne pas s’enorgueillir de leur maîtrise et à se rappeler que l’Octroyeur des animaux est leur Créateur, qui a choisi de créer pour nous certaines espèces acceptant la domestication, et que le génie humain ayant conçu les navires est le fruit du Souffle de Dieu (Rûh) présent en nous. Ces versets, comme beaucoup d’autres dans le Coran, sont une véritable invitation à la contemplation, une contemplation active, une prise de conscience des innombrables grâces divines qui nous entourent au quotidien. Les vaisseaux représentent tous les objets que nous possédons par la Grace de Dieu, qui pourvoit de quoi acheter ou fabriquer ses objets ; les animaux domestiques nous rappellent à la fois la responsabilité que nous avons vis-à-vis d’eux et la chance de pouvoir profiter de leurs capacités et leur affection. Le début du verset invite à nous émerveiller à la fois de la simplicité et de la complexité de la création et de la diversité des espèces animales. Le même schéma de création par couple se répète dans une variété d’êtres vivants dont chaque membre contribue à l’harmonie de l’ensemble de la création. De cette simple dualité initiale naîtra une multitude d’espèces. Cette dualité caractéristique du monde créé se veut en réalité illusoire, en témoigne le récit de la création d’Adam. Cet être Unique se voit divisé en deux : l’homme Adam masculin et la femme Eve. Pourtant, ces deux êtres sont bien issus d’une Unicité originelle qui nous rappelle que la diversité apparente du monde n’est que le reflet de l’Unicité de Dieu : Etre Unique constitué de multiples facettes. C’est cela qu’évoque Ibn Arabi dans cet extrait des « Illuminations de La Mecque » : « Aucune chose ne saurait être dépourvue d’une « face » de Dieu ! Il est la réalité de cette face. S’il n’en était pas ainsi, Il ne serait pas l’unique divinité et le monde se suffirait à lui-même, or, cela est parfaitement impossible. »

Les exemples des bienfaits de Dieu sont tellement nombreux que le Coran déclare :

Si vous comptiez les bienfaits de Dieu, vous ne sauriez les dénombrer ! Vraiment, Dieu, Très Recouvreur, Très rayonnant d’Amour ! (Coran 16 : 18)

Les dons sont des supports de méditation, c’est pourquoi le Coran les évoque sans cesse. Il ne se contente pas de mettre en évidence ceux qui concernaient directement le quotidien du Prophète et des premiers musulmans qui l’ont entourés. Il relate aussi des récits des Prophètes antérieurs en mettant l’accent sur la largesse des dons dispensés en tout temps. Ainsi, Dieu proclame les dons qu’Il dispense comme preuve de Son Amour pour Ses créatures. Et Il nous demande à nous, croyants, de poursuivre cette annonce des dons que nous recevons individuellement en déclarant :

Proclame le bienfait de ton Seigneur. (Coran 93 : 11)

Proclamer les dons que Dieu nous offre ne vise bien sûr pas à s’en enorgueillir, comme une intention privilégiée de la part de Dieu à notre égard. En réalité, Dieu donne à tous. Proclamer les dons reçus permet tout d’abord d’en prendre conscience et d’apprendre à percevoir la chance que nous avons de bénéficier de ces grâces divines. Cela peut également permettre d’aider les autres à se rendre compte de leurs propres dons reçus et/ou à redonner espoir à quelqu’un qui se sent accabler par les épreuves.

La « limitation » des dons : pourquoi Dieu mesure-t-Il ses dons ?

Bien que les dons de Dieu soient incommensurables, force est de constater que tout n’est pas don et bienfait, du moins d’après notre perception. La raison à cela est donnée dans le Coran :

Quand une contrainte touche l’humain, il invoque son Seigneur, se repentant auprès de Lui. Puis, quand Il lui prodigue du bien-être venant de Lui, il oublie ce pour quoi, auparavant, il L’avait invoqué. Il assigne des rivaux à Dieu afin de provoquer l’égarement hors de Son chemin. (Coran 39 : 8)

Quand une contrainte touche l’humain, il Nous invoque. Puis, quand Nous lui accordons un bienfait procédant de Nous, il dit : « Je l’ai seulement reçu en vertu d’une science. » Bien plutôt, c’est une épreuve ! Et cependant, vraiment, la plupart d’entre eux ne savent pas ! (Coran 39 : 49)

Ainsi, si trop de bienfaits sont octroyés, une grande partie des êtres humains fera preuve soit d’oubli de Dieu soit d’ingratitude en s’attribuant les mérites de ces dons et en oubliant leur origine divine. Trop de dons nuisent donc à la relation entre Dieu et l’être humain. Or, si l’être humain est sur terre c’est, d’après les mystiques, pour expérimenter sa nature divine, c’est-à-dire le Souffle (Rûh) que Dieu lui a donné, afin de Se relier à Dieu pour accroître la mise en œuvre de ce Dépôt divin. Autrement dit, le travail spirituel vise à purifier notre âme pour qu’elle se transforme et incarne les qualité divines (attributs de Dieu) tels que les Prophètes nous l’ont enseigné par leur comportement dans le monde. C’est pour cela que Dieu distribue ses dons avec parcimonie afin d’encourager le croyant à poursuivre son engagement et sa relation avec Lui, sans risquer de les détourner de Lui par trop d’abondance.

Autre question soulevée par cette limitation des dons octroyés est celle de son opposé, à savoir l’épreuve. Je vous invite à consulter le prêche sur « Le bonheur et le malheur » dans laquelle cette thématique est développée (cf https://www.voix-islam-eclaire.fr/2021/10/16/khutba-27-le-bonheur-et-le-malheur/ ). Pour résumer, si une épreuve advient, c’est qu’elle est nécessaire à notre cheminement spirituel. Une épreuve permet de se transformer intérieurement, de se renforcer et de se purifier. On peut alors se demander si l’épreuve n’est pas aussi une forme de don ? Un célèbre hadith nous dit : « Celui à qui Dieu veut du bien, Il l’éprouve » (Boukhari n°5645). Il s’agit alors d’un don qui n’est agréable ni à nos sens ni à notre âme, mais qui est un bienfait pour notre évolution spirituelle. Un autre hadith rapporté par ‘Abd Allah ibn Abbas va encore plus loin en considérant le bienfait agréable comme quelque chose de détestable. Il nous dit : « N’est pas un croyant accompli quiconque ne considère pas l’épreuve comme une grâce et l’aisance comme un malheur. » Au sujet de ce hadith, Tayeb Chouiref, soufi et spécialiste du soufisme, commente : « Selon ce hadith, la foi ne saurait être entièrement réalisée que par celui qui considère chaque événement qu’il est amené à vivre sous l’angle de la progression spirituelle. Dans cette perspective, l’épreuve sera ressentie comme une grâce parce qu’elle permet une victoire sur l’ego, lorsqu’elle est vécue dans la Voie. L’épreuve est alors acceptée sans amertume – et chez les saints, avec un certain bonheur – même si elle peut, évidemment, rester difficile à vivre au quotidien. A ce sujet, le Coran interpelle les croyants dans ces termes : « Les hommes pensent-ils que nous les laisserons dire : « Nous avons la foi sans les éprouver ? » (29 : 2) » 1 On retrouve cette même idée dans le verset 49 de la sourate 39 cité précédemment : l’épreuve initiale (la contrainte) n’est pas la véritable épreuve puisqu’elle amène la personne évoquée à s’en remettre à Dieu. En revanche, la délivrance de cette épreuve par la venue d’un bienfait est bien la véritable épreuve, tel que l’indique le verset, car elle amènera la personne à s’enorgueillir et à s’attribuer le mérite de la résolution de l’épreuve initiale. Le danger de la seconde épreuve (le bienfait) est d’autant plus important que la personne n’en n’a pas conscience.

Cela explique aussi les différences dans la répartition des dons. Toujours selon nos perceptions subjectives et la variété de nos désirs, certaines personnes semblent avoir plus d’épreuves que d’autres ou des épreuves plus difficiles. Le Coran fait le constat de cette « injuste » répartition des bienfaits de Dieu en indiquant qu’Il a favorisé certains d’entre nous plus que d’autres :

Dieu a favorisé certains d’entre vous plus que d’autres en moyens de subsistance. Ceux qui ont été favorisés ne redistribuent pas également leurs parts de subsistance aux captifs qu’ils possèdent. Alors, dénient-ils le bienfait de Dieu ? (Coran 16 : 71)

Ce verset évoque surtout les richesses matérielles liées au statut d’homme libre et au statut d’esclave, autrement dit la quantité de bienfaits dont dispose une personne indépendamment de ses efforts personnels. Ces inégalités sont bien sûr toujours d’actualité et même s’il est légitime et important de s’en insurger, surtout quand l’être humain les accentue soit par une mauvaise répartition des richesses ou par une monopolisation de ces dernières par un petit groupe de personnes au détriment des autres, il convient néanmoins de se souvenir que cette répartition initiale recèle aussi d’une sagesse divine de façon à ce que chacun se trouve dans la situation la plus optimale pour se rapprocher de Dieu. Cette idée ne doit bien sûr pas amener à l’inaction et au fatalisme car ne pas agir est aussi un choix qui engage notre responsabilité et pour lequel nous devrons répondre.
Par ailleurs, un signe extérieur de richesse n’est évidemment pas synonyme d’un bien être intérieur ni d’un apaisement spirituel. Ce qui veut dire qu’un bienfait perçu comme agréable tel que la richesse peut en réalité s’avérer être une redoutable épreuve. Cela rejoint la célèbre Parole de Jésus dans l’Evangile de Matthieu :

Il est plus facile à un chameau de passer par le trou d’une aiguille qu’à un riche de rentrer dans le royaume de Dieu. (Evangile selon Matthieu 19 : 24)

On pourrait s’interroger pendant longtemps pour chercher à comprendre si le don est mérité, s’il est conditionné à un comportement pieux ou s’il est inconditionnel, tout comme on peut s’interroger de ce qui relève du don de Dieu ou de notre mérite personnel. En réalité, tout cela est imbriqué, et il s’agit surtout d’un échange permanent entre Dieu et nous : Dieu donne, nous lui donnons ; nous cherchons Dieu, Il nous donne. Rien ne Lui échappe donc tout provient de Lui et de Ses bénédictions.

1 Tayeb Chouiref – « Les enseignements spirituels du Prophète »