Prêche #49 Coran et stoïcisme (Eva Janadin, 19 janvier 2024)

Chers sœurs, chers frères, chers amis,

C’est avec plaisir de partager avec vous ce temps de prière et de réflexion du vendredi. Que Dieu puisse nous donner la paix et la sérénité, la sagesse d’accepter les choses que l’on ne peut pas changer et le courage de changer les choses que nous pouvons changer. Puissions-nous également apprendre à connaître et à admirer avec humilité la création et les lois de l’univers.

            Aujourd’hui, j’aimerais faire quelques parallèles entre les enseignements du Coran et le stoïcisme, un mouvement de la philosophie grecque du IIIe siècle avant Jésus-Christ fondé par Zénon de Kition. Cela me permet de prolonger les réflexions de Mohammed qui avait fait une khutba fin 2022 sur ce même sujet.

Le stoïcisme est une éthique de vie et non une morale. Contrairement à la morale, l’éthique ne nous dit pas « agis ainsi » mais nous dit « si tu agis ainsi, voilà ce qui va arriver, voilà les conséquences ». L’éthique repose donc sur la notion de responsabilité individuelle. On est responsable de nos actes au sens où on doit en répondre et en répondre, c’est en assumer les conséquences. C’est là qu’intervient la notion de libre-arbitre : l’individu a le choix, il a notamment le choix de transgresser les règles, mais en faisant ce choix il choisit ses conséquences.

            D’ailleurs le choix est associé dans le Coran à Satan, étymologiquement Satan signifie ce qui divise. C’est l’idée de dualité et le choix commence avec la dualité, le choix commence quand une voix alternative apparaît. C’est l’image du petit ange sur l’épaule droite et du petit diable sur l’épaule gauche. C’est à ce moment-là que la conscience est prise dans un dilemme. C’est la naissance de la liberté mais cette liberté a un coût, elle tourmente. Satan est le père de la liberté, le père du choix mais c’est en même temps la source de notre malheur parce qu’il n’y a pas de tourments quand on suit un chemin unique sans se poser de questions. Il n’y a pas de doute, il n’y a pas de regret ni d’amertume.

            Le stoïcisme, c’est tout d’abord une philosophie de l’action, une éthique de vie. C’est d’ailleurs le premier parallèle que l’on peut faire avec le Coran qui nous incite également à cultiver une éthique, une pratique vers la justice et la sagesse. Les stoïciens font une séparation entre les choses qui dépendent de nous et celles qui ne dépendent pas de nous. Tout le travail est d’abord de distinguer les deux. Il y a des choses qui dépendent de nous par exemple il dépend de moi de travailler pour réussir, il dépend de moi de rechercher la vérité, il dépend de moi de bien agir, mais il ne dépend pas de moi d’être grand, fort, puissant, il ne dépend pas de moi d’être beau, il ne dépend pas de moi de naitre à tel ou tel endroit…

Cette division, c’est juste un premier pas vers la conscience que nous ne sommes pas en capacité de tout faire et que nous sommes fondamentalement limités. Donc de ce point de vue-là la philosophie stoïcienne c’est un appel à l’humilité. Dans le Coran, cette humilité, c’est la taqwa, la conscience que nous sommes des êtres finis, faillibles et impuissant face à l’immensité divine. Ainsi, si j’ai des souhaits, ou des ambitions totalement démesurées, d’une manière ou d’une autre je vais être confronté à mes limites. Je ne vais pas pouvoir accéder à tout ce que je souhaite et lorsque je rencontrerai des obstacles à mes désirs, je risque d’être malheureux. Autre exemple : s’il est considéré comme normal d’être triste lorsqu’un être cher meurt, pour les stoïciens c’est une aberration logique. Pourquoi ? Car cela sous-entend que l’on n’accepte pas la mort d’une personne alors que cela ne dépend pas de nous. Nous ne sommes pas éternels. Épicure disait qu’apprendre à vivre, c’est apprendre à mourir. La mort n’est rien, car elle appartient au Tout cosmique créé par Dieu. Nous ne pouvons rien faire contre cela. La mort est comme la vie, une succession de cycles auxquels nous ne pouvons rien changer.

Dieu dit bien des martyrs morts au combat qu’ils ne sont pas morts en réalité. Dieu dit bien dans le Coran qu’Il fait mourir et fait vivre. Ce qui nous fait peur n’est pas la mort en elle-même mais la projection que l’on fait dessus.

            Le stoïcisme, c’est donc une conduite, une manière d’être. Ses enseignements vont nous apprendre comment agir pour être heureux, pour atteindre le bonheur. Pour atteindre le bonheur, il faut atteindre la sagesse. Le sage, c’est celui qui, parce qu’il a compris le monde, l’ordre des choses, n’en est plus affecté, troublé, n’en est plus tourmenté. Cela ne consiste pas à ne plus rien ressentir mais à trouver un équilibre, autrement dit une paix intérieure. Les émotions, ce sont des passions, et les passions, ça fait mal. Les émotions, elles peuvent néanmoins se maîtriser. Notre colère on peut la maîtriser, on peut être indifférent ; mais non pas une indifférence inconsciente et froide, non, une indifférence consciente et maîtrisée pour ne pas se laisser envahir par ses émotions. Un hadith dit bien que l’homme fort n’est pas celui qui use de sa force mais qui sait se maîtriser en cas de colère. D’autant plus que les émotions ne résolvent pas la cause du problème. Se mettre en colère contre quelqu’un qui nous a coupé la route ne changera pas la réalité.

Là encore, nous pouvons faire un parallèle avec les enseignements du Coran. La notion de paradis se rapproche essentiellement à un état d’âme, à une forme de sérénité et de paix intérieure. Pour s’en convaincre, la sourate 89, al-Fajr nous parle de l’état d’âme dans lequel se trouvent ceux qui accèdent au Paradis (versets 27-30) : « Ô toi, âme apaisée, retourne vers ton Seigneur, satisfaite et agréée ; entre donc parmi Mes serviteurs, et entre dans Mon Paradis. » L’âme apaisée en arabe c’est nafs al-mutma’ina. Cela vient de la racine arabe a-ma-na, qui a donné l’iman pour désigner la foi. Dans cette racine, il y a l’idée de se mettre à l’abri du danger, du tourment, de se mettre en sécurité et de s’assurer la tranquillité. L’aman c’est l’état de quelqu’un qui n’a aucune crainte. Ainsi, le but de la foi est de trouver cet état de tranquillité intérieure et de sérénité.

Cet état de bien-être paradisiaque est d’ailleurs confirmé dans la sourate al-Ghashiyah (88), versets 8 à 16 : « Ce jour-là, il y aura des visages épanouis, contents de leurs efforts, dans un haut Jardin, où ils n’entendent aucune futilité. Là, il y aura une source coulante. Là, des divans élevés et des coupes posées et des coussins rangés et des tapis étalés. » Cet état d’apaisement est également associé au silence, au fait de ne pas s’adonner à des paroles futiles, inutiles. Cela fait penser à une parole de Marc Aurèle, empereur romain stoïcien : « Parle peu, et ne t’ingère point dans de multiples affaires. (…) C’est ainsi qu’on acquiert la sérénité, l’art de se passer de l’assistance d’autrui, l’art de se passer de la tranquillité que les autres procurent. »

À l’inverse, l’Enfer dans le Coran est associé à une grande souffrance. En dehors des descriptions habituelles des supplices infligés à ceux condamnés à l’Enfer, on trouve dans le Coran des indices qui montrent que l’Enfer est avant tout un état intérieur et non un lieu. Toujours dans la sourate al-Ghashiyah, versets 2 à 4 : « Ce jour-là, il y aura des visages humiliés, préoccupés, harassés. Ils brûleront dans un Feu ardent, et seront abreuvés d’une source bouillante. Il n’y aura pour eux d’autre nourriture que des plantes épineuses, qui n’engraisse, ni n’apaise la faim. »

L’histoire de la Géhenne est à ce titre intéressante. Le terme arabe vient de l’hébreu, Guei Ben-Hinnom, la vallée des fils de Hinnom qui est une vallée étroite et profonde qui s’étend au sud de Jérusalem. Elle était auparavant consacrée au sacrifice d’enfants. Le roi Josias profana le lieu en y répandant des ossements humains, à la suite de quoi la vallée servit de dépotoir où des feux permettaient de brûler les déchets. D’ailleurs la racine arabe jahanam désigne l’idée de regarder quelqu’un de travers, de lui faire mauvaise mine, d’être désagréable, d’être sombre, de prendre un air dur et sévère, austère et renfrogné. Là encore on retrouve toute une palette de qualificatifs d’états d’âme négatifs et douloureux désignant des personnes qui souffrent atrocement. Autre preuve, le terme « ‘adhâb » dans le Coran pour désigner le grand châtiment signifie littéralement « souffrance ».

            Mais comment faire pour atteindre l’apaisement, la sérénité et la paix intérieure ? Le stoïcisme et le Coran nous donnent les mêmes recommandations : agir conformément à l’ordre naturel et accepter la Réalité que l’on ne peut pas changer. La nature nous envoie des informations en permanence. C’est à nous de les prendre en compte, de voir ces signes, de les utiliser comme moyen d’orienter notre action. Si on n’écoute pas ces informations, on va souffrir. La nature, la création divine, c’est le manuel crypté pour atteindre le bonheur.

            Dans le stoïcisme et dans le Coran, le modèle de la bonne conduite, ce sont les lois universelles, l’ordre naturel, l’ordre cosmique de Dieu. C’est ce qu’on appellerait la Raison universelle. Cet ordre cosmique, ce n’est rien d’autre que l’ensemble des principes et des lois qui font que notre monde fonctionne, qui font que notre monde est viable et que tout est à sa place dans l’univers, dans une harmonie complète. Il y a ainsi des lois universelles que nous ne pouvons pas changer.

Les lois de la physique en font partie. Nous n’y pouvons rien. Nous ne pouvons rien faire contre la loi de gravitation. Nous devons l’accepter. Si l’on commence à vouloir refuser la loi de gravitation, nous allons être rapidement frustrés. Même chose pour les aspects psychologiques. Nous ne pouvons pas contrôler les actes et les émotions des autres. Nous ne pouvons pas changer l’opinion des autres. Nous ne pouvons rien y faire, c’est comme ça et nous devons l’accepter.

Comment le Coran nous parle des choses que nous ne pouvons pas contrôler ? « Ne voyez-vous pas comment Dieu fait ressusciter la terre après l’avoir fait mourir ». Le Coran nous dit une chose très simple : « tout finit par passer ». Oui la mort nous parait terrible, de même que la guerre, la famine, les maladies. Mais ce sont des choses que nous ne pouvons pas changer. La seule façon d’arriver à ce que ces choses ne nous inquiètent plus est de prendre conscience de l’impermanence de nos émotions. Ce qui nous trouble est éphémère et quelque chose de bien plus permanent existe (Coran 44 : 38) : « Nous n’avons pas créé les Cieux et la terre et tout ce qui se trouve entre eux par jeu. Nous ne les avons pas créés si ce n’est pour une fin sérieuse mais la plus grande partie d’entre eux [les hommes] ne le comprend pas. » Si Dieu est infaillible et permanent, sa création ne l’est pas. Elle change, elle évolue sans cesse : « En vérité dans la création des Cieux et de la terre, et dans la succession de la nuit et du jour, il y a des signes pour les hommes doués de compréhension ; ceux qui, debout, assis ou couchés, gardent Dieu à l’esprit et méditent sur la création des Cieux et de la terre, et disent : Ô, notre Seigneur ! Tu n’as pas créé cela en vain. » (Coran 3 : 190-191).

Lorsque nous prions, nous disons pour apaiser nos cœurs : « Seigneur nous mettons notre confiance en Toi, nous revenons à Toi. C’est à Toi que tout aboutit ! » (Coran 60 : 4). Il est frappant de voir à quel point cela résonne avec les réflexions de Marc Aurèle : « Tout me convient de ce qui te convient, ô Monde ! Rien pour moi n’est prématuré ni tardif, de ce qui est pour toi de temps opportun. Tout est fruit pour de ce que produisent tes saisons, ô nature ! Tout vient de toi, tout réside en toi, tout retourne en toi. (…) Tout est éphémère, et le fait de se souvenir, et l’objet dont on se souvient. (…) Considère sans cesse que tout ce qui naît provient d’une transformation, et habitue-toi à penser que la nature universelle n’aime rien autant que de transformer ce qui est pour en former de nouveaux êtres semblables. »

Face aux événements troublant que nous ne pouvons pas contrôler, le Coran nous demande d’être sereins, de ne pas nous inquiéter, d’autant plus que Dieu nous dit bien qu’il ne nous chargera jamais d’un fardeau que nous ne pouvons pas supporter. Cela fait écho à Marc Aurèle : « Tout ce qui est possible à l’homme ne peut être au-dessus de ses forces. » Face à quelque chose d’incontrôlable, de trop lourd, quel intérêt y’a-t-il à vouloir le contrôler ? Face à l’inimaginable, à l’intouchable, que faire d’autre que d’apaiser nos cœurs par le rappel du Divin qui Lui seul peut gérer ce qui nous échappe ? Chercher l’impossible ne nous apportera que peine et chagrin ; mais changer ce qu’il est possible de changer en nous nous apportera la sérénité.

            Se réfugier en soi-même, se connaître soi-même est l’unique façon d’apporter une sécurité et un confort psychique. S’en remettre à Dieu, placer sa confiance en Dieu est la seule façon de s’apaiser quand nous sommes face à des choses que nous ne pouvons pas contrôler. L’islam c’est justement cette attitude d’abandon dans la paix face à ce qui nous dépasse. Marc Aurèle disait également : « On se cherche des retraites à la campagne, sur les plages, dans les montagnes. (…) Mais tout cela est de la plus vulgaire opinion, puisque tu peux, à l’heure que tu veux, te retirer en toi-même. Nulle part, en effet, l’homme ne trouve de plus tranquille et de plus calme retraite que dans son âme, surtout s’il possède, en son for intérieur, ces notions sur lesquelles il suffit de se pencher pour acquérir aussitôt une quiétude absolue, et par quiétude, je n’entends rien autre qu’un ordre parfait. »

Quand on souffre, il y a toujours une raison, cette raison n’est peut-être pas évidente mais il y a toujours une raison à la souffrance. Pour les stoïciens, ce qui tourmente notre âme, c’est le fait de désirer que les choses se produisent autrement que de la manière dont elles se produisent ; c’est de désirer que l’ordre des choses ne soit pas celui qu’il est, mais ce que nous voudrions qu’il soit. C’est par exemple désirer qu’il fasse 35°C en plein hiver. Le problème ne vient pas de l’hiver, mais de notre désir que l’hiver disparaisse et soit remplacé par un été permanent. Nous n’avons pas le pouvoir de changer le climat. Nous devons juste adapter notre comportement à ces événements extérieurs incontrôlables. S’il pleut, nous prenons un parapluie, il ne nous viendrait pas à l’esprit de sortir en t-shirt dans l’espoir qu’il s’arrête de pleuvoir.

            Prenons l’exemple des ennemis du Prophète. Ils voulaient changer la foi des premiers musulmans. Or, c’était impossible car cela ne dépendait pas de leur volonté mais de celle de Dieu. Que répond le Coran à ce comportement ? Tout est résumé dans la sourate al-Kafirun : « Dis : « Ô vous les infidèles ! Je n’adore pas ce que vous adorez. Et vous n’êtes pas adorateurs de ce que j’adore. Je ne suis pas adorateur de ce que vous adorez. Et vous n’êtes pas adorateurs de ce que j’adore. À vous votre religion, et à moi ma religion. »

Autrement dit, c’est une brillante réponse stoïcienne ! À chacun ses opinions, à chacun sa foi. Personne ne peut rien y changer, c’est ainsi. Et pour trouver la paix, la seule solution est de l’accepter. Sinon, on se condamne au malheur, à la déception, à la frustration, à la colère de ne pas pouvoir changer l’avis d’autrui. Il est justement arrivé à Muhammad bien des tourments lorsqu’il essayait de convaincre les autres de se rallier à lui : « Si ton Seigneur l’avait voulu, tous ceux qui sont sur la terre auraient cru. Est-ce à toi de contraindre les gens à devenir croyants ? » (Coran 10 : 99), « Eh bien, rappelle ! Tu n’es qu’un rappeleur, et tu n’es pas un dominateur sur eux. Pour celui qui tourne le dos et ne croit pas, alors Allah le châtiera du plus grand châtiment. Vers Nous est leur retour. Ensuite, c’est à Nous de leur demander des comptes. » (Coran 88 : 21-26). Ailleurs dans le Coran, Dieu répond l’impatience et à la souffrance psychologique du Prophète, subissant des moqueries, des insultes et ne parvenant pas à convaincre (al-Kahf, 28) : « Fais taire ton impatience (en restant) avec ceux qui invoquent leur Seigneur matin et soir, aspirant à Sa Face. Que ton regard ne se détourne pas d’eux pour aller à la recherche du faux-brillant de la vie sur terre. N’obéis pas à celui dont Nous avons rendu le cœur imperméable à Notre Rappel, celui-là même qui ne suit que sa passion et dont le comportement est outrancier ».

Autrement dit, c’est bien le fait de se soucier de ce que les autres croient ou font qui cause la souffrance du Prophète. Marc Aurèle disait également la chose suivante : « N’use point la part de vie qui te reste à te faire des idées sur ce que font les autres. (…) car tu négliges en cherchant à te faire une idée de ce que fait tel ou tel, du but qu’il se propose, de ce qu’il dit, de ce qu’il pense, de ce qu’il combine et de toutes les autres préoccupations de ce genre, qui t’étourdissent et t’écartent de l’attention que tu dois à ton principe directeur. »

Le tourment de l’âme, c’est l’œuvre de nous-mêmes : « Tout bien qui t’atteint vient de Dieu, et tout mal qui t’atteint vient de toi-même. Et Nous t’avons envoyé aux gens comme Messager. Et Dieu suffit comme témoin. » (4 : 79). Il n’y a que nous qui sommes en capacité de modifier nos états d’âme, de modifier la représentation que nous avons des choses, de modifier nos actes. Nous avons la capacité de modifier la représentation que nous avons des choses que nous ne maîtrisons pas et nous avons la capacité d’agir sur ce que nous pouvons changer. Et justement, le Coran a non seulement des enseignements sur l’attitude à avoir face à ce que nous ne pouvons pas changer mais aussi face à ce que nous pouvons changer. Là il ne s’agit pas d’attendre passivement, il s’agit d’agir.

C’est exactement l’enseignement du Coran (89 : 15-19) : « Quant à l’homme, lorsque son Seigneur l’éprouve en l’honorant et en le comblant de bienfaits, il dit : « Mon Seigneur m’a honoré ». Mais par contre, quand Il l’éprouve en lui restreignant sa subsistance, il dit : « Mon Seigneur m’a avili ». Mais non ! C’est vous plutôt, qui n’êtes pas généreux envers les orphelins ; qui ne vous incitez pas mutuellement à nourrir le pauvre, qui dévorez l’héritage avec une avidité vorace, et aimez les richesses d’un amour sans bornes. »

Au lieu de recevoir la souffrance comme une injustice que nous inflige le monde, posons-nous simplement la question : que puis-je y faire ? Les stoïciens et le Coran nous disent : accepte ce que tu ne peux pas contrôler et agis sur ce que tu peux contrôler. Dans le verset précédent, donner aux pauvres et aux orphelins, être généreux, ne pas dévorer l’héritage des orphelins, ne pas aimer les richesses d’un amour sans bornes ; là ce sont des choses que nous pouvons contrôler et sur lesquelles nous pouvons agir. Les seules choses que nous pouvons changer, ce sont nos propres émotions, nos désirs, nos opinions, notre point de vue.

Pour les choses que tu ne peux pas contrôler : accepte, accepte parce que tu n’as pas d’autre choix que d’accepter. Tu as le choix de refuser, mais il va être la source de ta souffrance, parce qu’en réalité ce qui te fait souffrir n’est pas ce qui t’arrive mais c’est le refus que cela t’arrive : la maladie, le deuil, l’injustice causée par les actes d’autrui. Alors remets-toi en Dieu, demande-lui de te préserver du mal causé par tes propres tourments pour trouver une paix intérieure et atteindre ainsi un état d’âme paradisiaque. Cela ne veut pas dire qu’il faille accepter l’injustice avec fatalisme et avec passivité, mais que l’on peut combattre l’injustice sans que celle-ci nous fasse souffrir.

Alors là évidemment on va se dire mais qu’est-ce que c’est que cette philosophie ? Qui est finalement une philosophie de la soumission, une philosophie de la passivité. C’est légitime de se dire ça. Si j’accepte tout c’est une forme de renoncement, ça revient à dire je dois accepter les injustices, je dois accepter que l’on puisse me mentir, que l’on puisse me voler, que l’on puisse me tromper. Je dois accepter l’immoralité de mon voisin. En réalité, le Coran comme le stoïcisme font la différence entre ce qui dépend de moi et ce qui ne dépend pas de moi. Il y a des choses sur lesquelles je peux avoir un contrôle.

La première difficulté est de savoir ce qui peut être changé et d’agir à mon niveau sur ce qui peut être changé. Mais je ne dois pas avoir des prétentions qui sont au-delà de mes moyens, je ne dois pas penser que je suis capable de révolutionner le monde tout seul avec mes petits bras. Je dois accepter que seul les changements que je peux apporter les transformations que je peux opérer sur le monde et bien elles seront à l’image de mes capacités. J’ai le choix entre faire ce que je peux faire et laisser tomber en disant après tout, ça ne sert à rien. Je peux accepter de renoncer. Mais dans ce cas-là, pour les stoïciens, je ne fais pas ce qui dépend de moi j’abandonne, je renonce. Parce que je ne supporte pas l’idée de ne pas avoir plus d’emprise sur le monde. Donc en fait je renonce par égoïsme, je renonce parce que je dis à moi tout seul je ne pourrai pas opérer les changements que je souhaite opérer. D’accord, mais ça c’est un raisonnement qui est dicté par le désir de toute puissance et par manque d’humilité. Donc il faut agir agit le périmètre sur lequel on peut agir. Et on ne se préoccupe pas du reste parce que le reste ne nous appartient pas. Parce que le reste appartient au monde. Et que le monde poursuit son chemin sans nous. Nous faisons partie du monde nous déposons sur lui notre empreinte mais nous n’en sommes pas propriétaire. Il appartient à nous en tant qu’individu de faire des choses dont nous sommes capables, il ne nous appartient pas en tant qu’individu d’agir à la place des autres. Donc plutôt que d’une philosophie du renoncement et de la soumission, le Coran est plutôt une philosophie de la lucidité et du réalisme.

            Nous devons donc adapter notre comportement à la réalité, à la Raison universelle. C’est la raison qui nous permet de neutraliser la souffrance, d’annuler notre tourment et de trouver la paix intérieure, de trouver l’alignement, la mise en accord de notre pensée avec les événements. C’est la confiance en la raison qui va faire la différence et cette confiance dans la raison n’est pas comme on peut le dire parfois dans la religion, le fruit d’une foi aveugle, le fruit d’une croyance, elle est le fruit d’un savoir que la raison régit tout. Cette confiance, cette iman nous vient du fait de savoir que la raison est dans tout et que tout est dans la raison. Tout a une raison, y compris les choses qui nous paraissent les plus absurdes, car l’absurdité n’est rien d’autre que le nom que l’on donne à ce qu’on n’arrive pas à comprendre. L’absurde n’échappe pas à la raison. Il échappe à nos moyens de compréhension.