Prêche #33 Aïd el fitr « Le pardon comme vecteur de sagesse » (2 mai 2022, Omero Marongiu-Perria)

Allahu Akbar, Allahu Akbaru kabîran wa l-hamdu lillâhi kathîran wa subhâna-Llâhi bukratan wa
açîlan wa lâ hawla wa lâ quwwata illa bi-Llâh, Allâhu akbaru wa ajall, Allâhu akbaru ‘alâ mâ
hadânâ, Allâhu Akbaru lâ ilaha illa-Llâh, Allahu akbaru wa li-Llâhi l-hamd. Wa uçallî wa usallim
‘alâ sayyidinâ Muhammad, khâtimi l-anbiyâ’i wa l-mursalîna wa ‘alâ âlihi wa çahbihi ajma’în.


Dieu est plus Grand, Dieu est plus Grand en Sa Grandeur infinie, la louange infinie revient à
Dieu, qu’Il soit glorifié matin et soir, il n’existe de force et de puissance qu’en Dieu, Dieu est
plus Grand et plus à même d’être glorifié, Dieu est plus grand et nous Le remercions pour la
Guidance dont Il nous a gratifiés, Dieu est plus Grand, point de divinité si ce n’est Lui, Dieu
est plus Grand et à Lui revient la louange. Je prie et j’adresse mes salutations sur notre noble
Prophète, Muhammad, l’ultime Prophète et Messager, ainsi que sur l’ensemble de ses
compagnons.


Chers soeurs, chers frères, cher.e.s ami.e.s, c’est un plaisir de partager avec vous ce temps qui
marque la rupture du jeûne de ce mois de ramadan 2022. La frustration liée à la distance et au
filtre que représente cet écran est compensée par la joie du partage de la fête de rupture avec
vous tou.te.s. Nous sommes dispersé.e.s physiquement pour des raisons indépendantes de notre
volonté mais nous sommes uni.e.s dans la foi, dans la joie de ce moment de partage et dans le
rappel mutuel et la discussion qui suivront ce sermon. Je partage avec vous l’espoir de voir les
êtres humains s’orienter vers plus de sagesse dans leur rapport au monde, dans l’exploitation
des ressources que leur offre cette planète qui les accueille et les héberge par la Grâce divine,
comme dans leurs relations mutuelles qui devraient être guidées par l’amour, la bienveillance,
la générosité, l’entraide, l’esprit de conciliation et le pardon.

Pardonner est un acte d’une haute valeur spirituelle ; le pardon est lié à la réparation d’une faute
commise et celui qui pardonne fait preuve d’une haute considération pour la miséricorde infinie
de Dieu décrite ainsi dans le Coran :

Ma Miséricorde embrasse toute chose (Coran 7 : 156)


Si vous comptiez les bienfaits de Dieu, vous ne sauriez les dénombrer. Dieu est Celui qui
pardonne, Il est Miséricordieux. (Coran 16 : 18)

Il s’agit également un acte dont les conséquences positives sont très importantes sur le plan des relations sociales. En effet, par le pardon, c’est tout le regard de l’autre qui se transforme, ce sont les coeurs qui se purifient de la tentation à la vengeance pour laisser place à la justice et à la bienveillance. Comme le souligne le verset de la sourate Les abeilles, précédemment cité, le pardon entretient un lien fort avec la miséricorde, j’irai même jusqu’à dire qu’il émane d’elle. Le terme miséricorde, en français, vient de deux mots latins qui sont misereo – avoir pitié – et cor – coeur – ce qui signifie « avoir un coeur enclin à la pitié » ou « rempli de compassion ». Le vocable arabe que l’on traduit en français par miséricorde possède quant à lui un sens différent : la rahma vient de l’arabe raham, qui signifie l’utérus de la femme. C’est le même terme que l’on retrouve dans la Bible hébraïque, avec son extension, rahamim, qui signifie « le sein maternel ». Il y a donc eu un glissement de signification entre le judaïsme et l’islam, d’un côté, et le christianisme d’un autre côté. Là où les premiers considèrent les « entrailles » de Dieu qui porte un regard sur le monde tel que celui de la mère qui a enfanté, les seconds y voient le coeur de Dieu qui porte un regard de compassion sur le monde. Aussi, le Coran insiste sur l’attitude générale de miséricorde que le croyant doit développer envers le monde, et plus particulièrement envers les êtres humains, avec le prophète présenté comme exemple :

Nous ne t’avons envoyé [Muhammad] que comme miséricorde pour l’Univers (21 : 107)

C’est par un effet de la miséricorde divine que tu es si conciliant envers les hommes, car si tu te montrais brutal (fadhdh) ou inhumain (ghalîzh al-qalb) avec eux, ils se seraient tous détachés de toi (3 : 159)

Si ceux qui croient à Nos signes viennent à toi, dis-leur : La paix soit sur vous ! Votre Seigneur s’est prescrit à lui même la miséricorde ; ainsi, celui qui commet un méfait par ignorance puis s’en repend et s’amende trouvera Dieu Pardonneur et Miséricordieux (6 : 54)

Le Coran dresse ici un vecteur orienté centré sur l’idée que la miséricorde et le pardon divins sont des caractéristiques intrinsèques et absolues de Dieu, et aucune pensée humaine ne peut les restreindre :

Puis Moïse choisit, parmi son peuple, soixante-dix hommes [pour venir] à notre rencontre. Quand le tremblement les saisit, il dit : “Seigneur ! Si Tu avais voulu, Tu les aurais déjà anéantis ainsi que moi. Mais vas-Tu nous faire périr pour ce que les insensés, parmi nous, ont commis ? Ce n’est qu’un effet de l’épreuve par laquelle Tu égares qui Tu veux et Tu
guides qui Tu veux. Tu es notre Protecteur, pardonnes-nous donc et fais nous miséricorde, Tu es certes le meilleur de ceux qui pardonnent ; et inscris pour nous une belle [vie] en ce monde et dans l’ultime demeure, car nous venons à Toi repentants [autre sens : nous pratiquons le judaïsme envers Toi]. [Le Seigneur répondit] de Mon châtiment Je frappe qui je veux et Ma Miséricorde s’étend à toute chose ! (Coran 7 : 155-156)

Ce passage ouvre une porte à l’articulation entre les notions de miséricorde/pardon et de châtiment que je n’ouvrirai pas dans le cadre de ce court sermon. Je dirai simplement que c’est à la lumière de ce vecteur orienté qu’il faut interpréter les passages du Coran dans lesquels Dieu manifeste son aversion ou sa colère vis-à-vis des attitudes et des comportements de certains humains qui usent de leur liberté pour adopter un comportement de défiance vis-à-vis de leur Créateur. C’est ici que la notion de « Jugement dernier » prend son sens dans la croyance monothéiste ; Dieu est le Maitre du Jour de la Rétribution (yawm al-dîn) et, à ce titre, il questionnera chaque humain sur ses actes et sur son usage de la liberté d’agir dont il a été doté, en faisant prévaloir systématiquement sa Miséricorde. Le Prophète dit à ce sujet : « Dieu a divisé la miséricorde en cent parts. Il en a gardé quatre-vingt-dix-neuf auprès de Lui et en a fait descendre une seule sur Terre. C’est grâce à cette part que les créatures font preuve de miséricorde entre elles au point qu’une jument évite que sa jambe n’écrase son petit. » (Tradition rapportée dans le recueil de Muslim).

Amour maternant, matriciel si on se réfère à l’étymologie arabe et hébraïque, miséricorde et pardon sont intimement liés dans la personne divine et c’est une orientation fondamentale que nous devons chercher à réaliser en ce monde. Le pardon, en français, vient du latin per/donare, qui signifie littéralement « donner proprement » ou « complètement ». On peut le traduire par « faire don de son droit au ressentiment lorsqu’on a été victime d’une offense ». Il implique le fait de ne pas appliquer la punition ou la vengeance en réparation de l’acte que l’on a subi. Dans le Coran, le pardon est évoqué une centaine de fois à travers plusieurs mots. Deux d’entre eux sont utilisés pour exprimer de manière spécifique le pardon de Dieu en direction des humains, ce sont :

tawba, du verbe tâba, qui signifie « revenir vers ». Ce mot indique la relation particulière entre Dieu et l’être humain qui, après avoir commis des fautes, reviens vers son Seigneur en lui demandant pardon (yatûbu ilâ-Llâh), il est appelé tâ’ib, et Dieu prend acte de son retour (yatûbu ‘alayh), même si cet être humain réitère les mêmes fautes. En ce sens Dieu est appelé al-tawwâb
kaffâra, du verbe kaffara, qui renvoie à l’idée d’expiation et de rachat des fautes. Le Coran l’emploie pour indiquer l’attitude de Dieu qui absout les humains de leurs fautes (yukaffir ‘anhum sayyi’âtihim) s’ils s’abstiennent de commettre les péchés majeurs (kabâ’ir) et s’ils s’appliquent à adopter un comportement de croyants vertueux. Il n’y a pas de nom spécifique attribué à Dieu en lien avec cet acte de sa part.

D’autres mots sont utilisés pour exprimer le pardon de Dieu vis-à-vis des humains ou des humains entre eux :

ghufrân, du verbe ghafara, qui indique l’idée d’absolution et d’indulgence. L’être humain demande l’absolution (yastaghfiru rabbah), il accomplit l’acte d’istighfâr et Dieu est appelé, en ce sens, al-ghafûr ou, dans la forme superlative, al-ghaffâr, les humains peuvent aussi faire preuve d’indulgence entre eux. Il y a 234 occurrences de ghafara et de ses dérivés dans le Coran
‘afw, du verbe ‘afâ, qui signifie « passer » sur quelque chose. C’est un mot qui renvoie plutôt à l’indulgence et à la bienveillance, et Dieu est en ce sens al-‘afuww et les humains peuvent avoir la même attitude entre eux ;
çafh, du verbe çafaha, qui signifie « effacer ». C’est un mot qui a une signification forte car il porte vers l’effacement du ressentiment que l’on peut avoir quand on a subi une injustice. Le Coran le mentionne uniquement pour désigner l’attitude préférable des humains entre eux, et un seul verset y fait allusion au sujet de Dieu :

Allons Nous Nous abstenir de vous adresser ce Rappel [uniquement] par indulgence (çafhan) à votre égard
parce que vous être un peuple outrancier ? (Coran 43 : 5)

Plusieurs versets du Coran mettent en commun ces trois termes :

Montre-toi indulgent à leur égard (fâ-‘fu ‘anhum) et passe [sur leur comportement] (içfah) car Dieu aime les vertueux (muhsinûn). (Coran 5 : 13)

Que ceux d’entre vous favorisés par Dieu et vivant dans l’aisance ne jurent pas de ne plus donner aux parents, aux indigents, à ceux qui ont émigré dans le chemin de Dieu ; qu’ils fassent preuve d’indulgence (fâ-l-ya’fû’) et qu’ils effacent (wa-l-yaçfahû’). N’aimez-vous pas que Dieu vous pardonne (an yaghfira-Llâhu lakum) ? Dieu est certainement Pardonneur (ghafûr) et Miséricordieux (rahîm) (Coran 24 : 22)

Ô, vous qui avez la foi ! Il y a parmi vos épouses et vos enfants une source possible d’inimitié, défiez-vous-en ! Et si vous faites preuve d’indulgence (ta’fû), si vous effacez (taçfahû) et vous pardonnez (taghfirû), alors Dieu est Pardonneur (ghafûr) et Miséricordieux (rahîm) (Coran 64 : 14)

Ces versets font référence à des situations très tendues que le prophète ou les croyants ont vécues à la Mecque puis à Yathrib, durant toute la période de la prédication de Muhammad. L’arrière-fond nous échappe le plus souvent mais l’injonction est suffisamment forte pour laisser supposer un contexte assez délétère. Cela donne d’autant plus de force au propos qui fait une liaison très forte entre la capacité du croyant à dépasser sa colère, sa haine et son désir de vengeance et l’attitude bienveillante de Dieu qui ouvre en permanence les portes de Sa Miséricorde au monde. On notera que le vocable samâha, la générosité qui consiste à pardonner (du verbe samuha : être doux, bienfaisant, donner de bon coeur – avec la particule li –, mais aussi pardonner quelque chose – avec la particule fî), et les termes proches tels que tasâmuh (esprit de conciliation) et musâmaha (traiter quelqu’un avec douceur, lui accorder son pardon), ne sont pas utilisés dans le Coran. Les exégètes considèrent que l’orientation coranique contenu dans les termes précédents va pleinement dans le sens de ce comportement vertueux qui est à rechercher.

Le Coran exprime une dureté apparente de Dieu vis-à-vis des humains qui refusent de réformer leur comportement, durant leur vie terrestre, et d’adopter une vie vertueuse. La dimension pratique de la religion, qui se manifeste entre autres par le culte célébré au quotidien, est constamment imbriquée dans la nécessité d’élévation de la conscience morale et de recherche de la vertu. L’idée sous-jacente me semble réside dans une sorte d’« intégration morale et
spirituelle » qui doit toucher l’individu et la société. C’est dans ce sens que le Coran n’a de cesse d’opposer le chemin de la guidance et celui de l’égarement, en insistant sur le fait que c’est avant tout pour lui, pour son bien individuel et collectif et pour son salut que l’être humain doit se « guider » et se réformer. Cette intégration morale et spirituelle me semble également représenter le mode de régulation que le Coran propose pour articuler la liberté et la responsabilité devant Dieu de ses actes, avec trois éléments qui reviennent constamment : le retour constant à Dieu à travers les mots exprimant le repentir en arabe, la purification de l’intention pour la réforme intérieure et la recherche de la vertu pour trouver l’adéquation entre ses propres actes et la volonté divine. Le pardon s’inscrit dans cette démarche en permettant à l’individu de se parer d’un attribut majeur de Dieu.

Allahu Akbar, Dieu est plus Grand que toute représentation humaine à son sujet, Je l’invoque pour moi-même et pour vous mes cher.e.s ami.e.s, ainsi que pour l’ensemble de l’humanité et de la création, afin qu’il déverse Sa Miséricorde sur le genre humain en totalité.

Seigneur, Tu es la Paix, de Toi procède la Paix et vers Toi revient la Paix, Sois-Tu Béni et Élevé
Ô Toi doté de la Beauté et de la Magnificence.
Seigneur, nous Te demandons de nous guider et d’être source de guidance pour autrui.
Seigneur pardonne-nous nos manquements, illumine-nos coeurs de la Lumière de la foi et apaise
nos coeurs afin que nous soyons nous-mêmes des êtres de pardon et de miséricorde, car c’est
Toi le Pardonneur et le Miséricordieux.
Seigneur, déverse sur nous la Lumière de la foi afin qu’elle éclaire notre chemin en ce basmonde,
et accueille-nous en Ta Miséricorde le jour où nous quitterons ce monde.
Mers cher.e.s ami.e.s, je vous réitère mes voeux à l’occasion de ce jour de fête, en invoquant
Dieu pour vous et vos proches et pour l’ensemble des humains, dans l’espoir de vous retrouver
prochainement. Dieu vous bénisse.