Prêche #26 « Une étreinte in-fidele » (24 septembre 2021, Marie-Laure Bousquet)

Essai de lecture « aux éclats »(1) de quelques racines coraniques sur la relation amoureuse

Tu ne guides pas qui tu aimes (Coran 28 : 56)

Deux passages, l’un tiré du livre de Khaled Roumo , « Le Coran déchiffré selon l’amour »(2), l’autre de Sohravardi dans « L’archange empourpré » de Henti Corbin(3) me serviront d’introduction à ce travail.  Roumo résume quelques connotations de la racine QR (lire), en ces termes : « Lire c’est comme une femme qui met au monde un nouveau né, une personne qui s’isole pour méditer, un vent qui, à temps, vient souffler ».

Sohravardi dit ceci : « A toi incombe la tâche  de lire le Coran comme s’il n’avait été révélé que pour ton propre cas ».

Parmi les racines qui furent pour moi des « révélations » éclairantes, en lien avec certaines facettes de l’amour humain, en voici trois : – LH/ALH/WLH 
– SHRF(avec un point sur le r)
– WDD

1) LH/ALH/WLH ou « La Solitude du Seul »

C’est dans « le traité sur le nom ALLAH »(5) que j’ai découvert qu’il y avait désaccord entre savants sur la dérivation sémantique du nom ALLAH. Cette éthique de la divergence peut se résumer ainsi : certains affirment que ce nom ne peut avoir d’étymologie « vu son caractère incomparable et son essence divine transcendante et sans commune mesure avec l’être déterminé et qualifié ». D’autres, au contraire, affirment que la dérivation sémantique est possible en considérant les différents sens que prend la racine ALH/WLH : « être éperdu d’amour, être consterné, avoir la nostalgie et la tristesse, la vénération de, être haut et briller, être voilé, être permanent ». A ces sens-là, Roumo ajoute : « être dans la stupéfaction, devenir perplexe sous l’effet d’un amour intense ». Il en résume les connotations ainsi : »l’amour intense, aspiration, nostalgie, désir de retrouvailles ».

Parmi ces significations lues comme « bouleversantes », l’une d’entre elles m’a fortement interpellée et mis le cœur à vif, comme en écho à une expérience vécue, à savoir : avoir la nostalgie/tristesse. Que signifie Nostalgie/Tristesse divine ? Comment peut-elle ne pas remettre en cause l’UN « ALLAH AHAD » que l’on prononce à chaque prière ? Dieu aurait-il des sentiments, des états d’âme qui, en même temps ne l’atteindraient pas ?

Un hadith très connu car très souvent cité dans les ouvrages de grands maîtres spirituels et parfois aussi contesté dans son authenticité par certains commentateurs, résout à sa manière la contradiction apparente entre un Dieu inaccessible et incommensurable et un langage qui « semble mesurer Dieu et le comparer aux réalités sensibles » (6). Il s’git du hadith suivant : « J’étais un Trésor Caché, j’ai aspiré à/aimé/voulu être connu; alors  J’ai crée la création/les créatures afin de Me faire connaître en elles ». Au seuil initial et initiateur de la création, s’amorce non pas un éclat de la toute-puissance divine mais une « nostalgie /tristesse aspirant à sortir de Sa Solitude », commente Henri Corbin dans son prologue du livre de Ruzbehan de Shiraz, « le jasmin des fidèles d’amour »(7).

Les désaccords sur la possible racine du mot ALLAH reflètent donc deux interprétations du « tawhid » (mot non coranique) : soit une solitude divine immobile, fermée sur elle-même dans sa tour d’ivoire, soit une solitude divine é-mue, é-mouvante qui, par désir de se faire connaître, prend le risque d’une séparation d’avec soi-même, d’une étreinte distanciée au fondement de la création .Une nostalgie créatrice.

Voici, déclinée selon Sohravardi (8), l’interprétation imaginale de  cette distance créatrice au sein de l’UN: « Sache que le premier être que Dieu créa fut une essence de lumière….et Dieu Très Haut dota cette essence de trois propriétés : connaissance de Dieu(Beauté), connaissance de soi-même (Amour), connaissance du fait que d’abord elle-même n’était pas et ensuite se mit à être(Nostalgie)…..Beauté….se contempla soi-même, elle eut vision d’elle-même comme étant le Bien Suprême; l’allégresse naquit en elle et elle sourit. Alors des milliers d’anges de plus haut rang furent manifestés, éclos de ce sourire. Amour…était le compagnon familier de Beauté. Il ne pouvait détacher d’elle son regard et restait un serviteur assidu à son service. Lorsque lui apparut le sourire de Beauté, il fut pris d’un vertige de folie; il fut bouleversé; il voulut faire un mouvement, s’en aller. Mais Nostalgie…..se suspendit à lui. Et c’est de cette suspension de la Nostalgie étreignant l’Amour que prirent naissance le ciel et la terre. »

Cette trilogie va lui servir de trame de lecture pour interpréter la sourate 12 (Joseph) où Joseph sera la typification de Beauté, Zulaykha celle d’Amour et Jacob celle de Nostalgie.

Parmi les racines coraniques qui expriment l’amour « dans tous ses états », il en est une qui n’apparaît qu’une fois dans le Coran et, plus précisément dans cette sourate 12, au verset 30. Cette racine qui illustre à mes yeux l’étreinte sohravardienne est SHRF.

2) SHRF (avec un point sur le r) ou « La Blessure d’Eros »

Les sens donnés par Roumo sont les suivants : « l’amour blessure, excès, débordement. Blesser quelqu’un au cœur, avoir le tréfonds du cœur rempli d’amour, captiver, séduire, être épris d’un amour passionné ».

Voici la traduction que Maurice Gloton donne de ce verset 30 :

La femme du puissant entreprit de séduire l’âme de son jeune engagé. Au cœur, il l’a blessée d’amour. Vraiment nous la trouvons dans un égarement évident. (Coran 12 : 30)

Ces paroles sont dites par « des femmes dans la ville ». La beauté  « prophétique » de Joseph provoqua entre Zulaykha et lui, lors de leur rencontre, une telle attirance réciproque (verset 24), un désir si ardent de fusion chez elle qu’elle crut pouvoir la posséder par l’union sexuelle, tant la violence de ce coup de foudre la mit « hors d’elle ». De la même façon, celles qu’elle convia à un festin pour faire taire leurs reproches, ne se rendirent pas compte des blessures qu’elles s’infligeaient avec leurs couteaux lorsqu’elles furent mises en présence de la beauté « angélique » de Joseph.

Pour se libérer de ce vertigineux émoi/effroi (de fureur?, de douleur?), en tout cas d’impuissance à se saisir de l’insaisissable, autrement dit pour que le lien entre Beauté et Amour ne fasse pas une chute fatale dans les débordements (le sens est dans la racine) d’une passion  qui tue, un mouvement en son sein est  nécessaire. Ce mouvement de « suspension » que Sohravardi nomme Nostalgie/Tristesse est celui d’une distance dans l’étreinte pour qu’une relation amoureuse authentique puisse y vivre.

C’est cette séparation liante qui m’a fait me pencher sur l’étude d’un nom divin en particulier, dont la graphie m’interpellait depuis longtemps mais dont je n’avais jamais jusqu’ici interrogé la signification. Il s’agit de Al WADUD, qui vient de la racine WDD.

3) WDD ou « l’attachement intime »

Roumo dit ceci : « l’affection ou l’enracinement dans l’amour ». Ce nom divin se trouve dans deux sourates : en 11 : 90 où il est couplé avec Rahim et en 85 : 14 où il est couplé avec Al Rafour. Maurice Gloton le traduit par « Très Constant en Amour (en 11 : 90) et par « le Fidèle d’Amour » (en 85 : 14).

Quelle énigme, me demandai-je, se tapit derrière ce qui me sauta aux yeux immédiatement comme une apparente contradiction ou union des contraires entre d’un côté, un enracinement, une constance, une fidélité amoureuse au plus secret de l’intime et de l’autre, une graphie qui l’exprime en quatre lettres solaires et lunaires déliées/détachées les unes des autres dans la symétrie parfaite d’un mouvement de danse?

Ce nom divin était la chorégraphie de l’union entre la solidité d’un pieu (sens dérivé de la racine) planté dans la terre et la fluidité d’un entrelacs qui garde ses distances.  L’image d’une fidélité en liberté.

Une autre surprenante union des contraires m’apparut en faisant la recension des 27 occurrences de cette racine WWW et des différents contextes dans lesquels elle apparaissait.  Un grand nombre d’entre eux, en effet,  évoquaient des attachements dont il faudrait se préserver  car ils seraient des enchaînements aliénants; deux de ces occurrences m’ aidèrent  à comprendre le pourquoi de ces fidélités-là. Il s’agit de 19 : 96 et de 71 : 23.

En 19 : 96 on trouve AL RAHMAN WOUDAN : un amour constant (traduction de Gloton), un chérissement (Chouraqui), une affection, une sympathie, pour ne donner que quelques traductions entre anglais et français.

En 71 : 23 on trouve OUADAN où ceux qui n’ont pas voulu suivre Noé dirent :

N’abandonnez  ni WADD, ni SUWAT, ni YAGHUT, ni NASR. (Coran 71 : 23)

Gloton fait un très bref commentaire en disant : « Ce sont des noms donnés à des idoles non identifiées avec certitude, bien que ces noms aient des racines significatives. » Hamza Boubaker  en fait un plus détaillé sur ces divinités « noachiques », dit-il. (10).  Celui de Youssouf Ali, en anglais, est d’un grand intérêt dans la mesure où, allant plus loin que la phrase sybilline de M.Gloton, il se demande si l’on peut ou non faire un rapprochement entre WADD l’idole en question et la racine coranique qui lui ressemble à s’y méprendre et d’où provient le nom divin de l’enracinement amoureux. En voici la traduction en note 5 de l’appendice consacré à l’histoire de ces divinités :  » Il n’est pas clair de savoir si ces noms doivent être liés à de vraies racines verbales arabes ou s’ils sont simplement des formes arabisées de noms dérivés de cultes étrangers tels que ceux de Babylonie ou d’ Assyrie, la région du déluge de Noé. Cette dernière supposition est probable. Même dans le cas où WADD(affection, amour,) et Nasr (aigle) qui sont des noms arabes établis, on peut se demander s’ils ne seraient pas ici  des traductions ou des déformations de mots qui parlent de cultes étrangers. »  Et en note 10 il ajoute : « Si WADD et SUWA représentaient l’homme/le masculin et la femme/le féminin, il se pourrait qu’ils symbolisent l’autoglorification humaine et l’adoration de soi à l’encontre d’ALLAH, ou bien l’adoration de la puissance masculine et de la beauté féminine ou d’autres qualités abstraites de ce genre ». (11).

Il se pourrait donc que AL WADUD , Le Fidèle d’Amour, voile derrière son harmonieuse fluidité un redoutable jihad amoureux car il porte en lui le mouvement presque imperceptible (entre les harakat a et ou) où se glisse la confusion entre fidélité et idôlatrie. Il serait donc le nom divin d’une éducation à une fusion de loin, à une fidélité à la fois à vif et à distance.

Il semble que ce jihad, long fleuve in-tranquille , trouve son expression dans un autre dérivé de la racine WDD, à savoir  MAOUDAT, que l’on rencontre huit fois dans le Coran. Deux de ces occurrences en sont un exemple frappant à mes yeux. Il s’agit de 29 : 25 et de 30 : 21.

En 29 : 35 il s’agit d’Abraham en lutte contre son peuple auquel il dit :

Vous n’avez pris des idoles à la place  d’Allah que par votre attachement mutuel à la vie d’ici-bas. (Coran 29 : 35)

Certains traducteurs (Chouraaqui, Berque, Assad) commentent cette adoration d’idoles en disant : « par complicité ou solidarité humaine (Chouraqui); par complaisance (Berque); « par imitation aveugle d’attitudes héritées des générations passées(Assad en référence à Razi). Les multiples noms qui peuplent tout l’horizon de cette fidélité aveugle pouvant mener à la violence, donnent le sentiment d’une vie sous occupation.

Le verset 30 de la sourate 21, très souvent cité, semble raconter une autre histoire d’amour (maoudat associée ici à rahmat) que celle d’une adoration sans au-delà de soi. Il évoque la réciprocité du sentiment amoureux dans les relations de couple où la sakina(de la racine SKN : habiter, résider) serait la demeure d’une passion qui dure. En voici une traduction choisie pour le sens « paires » qu’elle donne au mot azwaj, en résonance avec les raductions en anglais par « mates ». Contrairement à celles qui le traduisent par « épouses », donnant le sentiment que le féminin serait tiré du masculin, « paires, couples, mates » me semblent refléter plus « fidèlement » la parité du face à face calligraphique du nom divin AL WADUD. C’est la traduction de Roumo que je cite ici : « Et parmi ses signes, il a crée pour vous issues de vous-mêmes des paires (des conjoint(e)s) afin que vous trouviez quiétude auprès d’eux/elles et il a établi entre vous affection durable et Merci (amour rayonnant). Voilà des signes pour des tenants qui méditent. »

Loin du vertige du désir entre Joseph et Zulaykha, loin de l’adoration trompeuse et violente des séductions mondaines, cette description « d’affection durable » paisible et pleine de tendresse au sein du couple parait si idyllique que l’on se demande quelle sorte d’épreuve pourrait en troubler le cours serein. Mais il semble là aussi, comme pour AL WADUD que cet attachement affectif porte en lui-même le risque d’un envahissement qui épouse le tout de la vie dans la vie à deux….Il est à lui-même sa propre épreuve, laquelle est presque toujours celle d’une confiance/fidélité trahie où s’éprouve un sentiment de dépossession, d’arrachement dont les conséquences peuvent parfois mener à des violences extrêmes assez universellement connues… Elle peut aussi être la signature d’une déchirure silencieuse dans le partage vécu auprès d’elle/de lui, tant il est difficile de mettre des mots sur ce sentiment de déréliction, de détresse, d’abandon qui a visage de solitude. Mais cette félure dans un intime comme en morceaux peut aussi être ouverture, distance au plus profond de soi, à l’image de Nostalgie/Tristesse divine dont parle Sohravardi et dont la rahma du verset couplée avec « l’amour durable » serait la trace au cœur de notre fidélité blessée. Cette distance fait chavirer la confusion entre intime et secret personnel et fait découvrir que le plus profond de soi ouvre sur l’au-delà de soi qui est en même temps plus intérieur à soi que soi. Un verset célèbre dit cette intime proximité dont l’être humain , insan, (de la racine NS : idée de familiarité, convivialité, intimité) est tissé. C’est le verset 16 de la sourate 50  où Allah dit :  » je suis plus proche de vous que votre veine jugulaire ». Autrement dit, plus l’intime est profond, plus il est lointain, moins il nous appartient.

Cette vision de l’intime comme lien entre un dehors et un dedans où il n’est « pas de lointain qui ne soit proche »(12) a bousculé en profondeur dans mon expérience amoureuse à la fois l’idée  d’exclusivité communément adjointe à celle de fidélité dans le couple et celle du rapport entre l’amour et la mort. J’ai en effet réalisé là que la dimension d’intime dans une vie à deux ne peut rimer avec celle d’un secret  exclusif car cela voudrait dire que l’on en fait une propriété privée qui veut mettre la main sur Dieu en quelque sorte. C’est, je crois, confondre le fait de se sentir unique aux yeux de l’autre et réciproquement avec l’Unique qu’est Allah, le Seul UN. L’attachement durable du vivre à deux est mis à rude épreuve dans cette initiation spirituelle à un « tawhid » qui, jusque là, pouvait paraître comme la lumière froide d’une abstraction et qui prend  soudain corps sous la forme d’une  douleur d’entrailles  irradiante comparable à celle d’un accouchement ,  un lâcher-prise, une dé –liaison où la peur de mourir voisine avec une vie en devenir. Jihad sexuel et spirituel où s’arpente lentement une ouverture à un au-delà de notre finitude. L’ouvrage de F. Jullien sur l’intime (13) m’a éclairé dans ce cheminement qui, d’une certaine manière, fait écho au verset coranique sur la veine jugulaire. Je cite : »Même si l’autre nous est retiré, qu’il est mort, on peut néanmoins demeurer intime avec ou plutôt envers lui….De quelque manière qu’elle soit, une séparation ne détruit pas l’intime. Car l’intime n’est pas de contact (coudoiement) mais de l’intériorité ou plutôt d’un plus intérieur que l’intérieur. C’est pourquoi il n’exige pas la présence. Dans l’absence on peut rester auprès. »

Ces lignes disant un enracinement  qui traverse la mort furent pour moi des mots de guérison, comme s’ils prenaient soin de la souffrance causée par la disparition de celui auprès de qui je vivais. Ils me rendaient sa mort moins scandaleuse, moins toute-puissante, plus habitable, plus humaine, plus vivante parce qu’habitée par de l’intime qui continue à y vivre. Une sorte de réconciliation. Les mots du poète Rainer Maria Rilke furent aussi un baume pour le cœur : « Fortifier la familiarité avec la mort à partir des joies et des splendeurs les plus profondes de la vie; refaire d’elle, qui ne fut jamais une étrangère, pour notre connaissance et notre sensibilité, la complice de tout ce qui vit. »(14).  On dit toujours « tomber amoureux » mais il faudrait en même temps dire « tomber mortels », d’un ailleurs céleste ou d’un rien (le Coran le spécifie comme en 19 : 9 et 19 : 67). Et cette chute  amoureuse et mortelle  » signifie  à la fois une orientation vers l’invisibilité de l’autre et le fait d’être orienté par cette invisibilité même ».(15)

4) RHM / WDD ou « de l’amour à distance »

Méditer le verset 21 de la sourate 30 à la lumière de cette intime frontière poreuse entre l’amour et la mort m’a aidé à le lire au-delà de la tendresse tranquille dont il semble imprégné. L’image d’une affection durable rassurante et sécurisante me semblait aplatir la notion de fidélité sur celle d’une assurance pour la vie. Or, si toute parole divine –kalima- veut dire aussi blessure (le sens est dans la racine KLM), le livre de l’amour humain en porte d’assez nombreuses pour que le verset en question n’en porte aucune trace….

Puisque maoudat et rahma sont cités ensemble pour évoquer le lien dans un couple, cela incite à s’arrêter sur celui qui pourrait exister entre les deux noms divins dont ils proviennent : AL WADUD et AL RAHMAN.

AL RAHMAN  :  Parmi toutes les traductions que l’on rencontre, celle d’André Chouraqui  qui se veut plus proche du sens de sa racine « utérine » pourrait-on dire, m’a interpellée plus fortement. Il a choisi « Le Matriciant » qui rejoint ce qu’en dit Eva de Vitray-Meyerovitch, grande spécialiste de Rumi :  » Celui qui a pour ses créatures des entrailles de mère ».(16). Ibn Arabi, quant à lui, le définit comme « le souffle ou le soupir de la compatissance divine existenciatrice »? (17).

L’UN est ici interprété comme principe Yin de l’enfantement, plénitude qui s’ouvre par désir de se faire connaître et qui offre l’image de la création comme blessure d’amour. Contrairement au principe Yang, AL RAHMAN se donne à voir sous les traits de « l’UN-MERE », celle qui me donne vie et mort. Cette sym-pathie, sous ses airs de com-patissance universelle, dit à bas bruit l’épreuve de cette interdépendance que la rahma instaure dans une vie de couple, sans drame et sans violence si elle s’éprouve comme une tension créatrice entre attachement et liberté.

C’est ainsi que je lis AL WADUD, Le Fidèle d’Amour, dont l’enracinement se déploie dans les pleins et les déliés d’une affection plus ou moins durable, maouadat,  à la mesure de la profondeur du lien partagé, tissé dans une confiance qui ne se trompe pas de fidélité. Dans son livre « l’esprit de solitude » (18), J. Kelen résume  bien,  selon  moi, ce voyage en Dieu. Je cite : « Aimer quelqu’un, c’est honorer sa solitude et s’en émerveiller. En fait, il s’agit de choisir entre devenir un et demeurer unique. »  

Le verset 21 de la sourate 30, en faisant côtoyer rahma et maouadat, pourrait signifier que si « c’est dans le livre de l’amour humain qu’il faut apprendre la règle de l’amour divin »(19), vivre à deux ce serait se rendre capable de traverser les tumultes de nos étreintes in – fidèles qui ne confondent pas le durable et l’indissoluble grâce à la Nostalgie divine, cette suspension qui nous sauve d’un vertige fusionnel destructeur et nous accompagne dans les failles de nos amours « à vif ». (20).

1) « Lire aux éclats », éloge de la caresse ». M.A. Ouaknin. Eds.. Lieu Commun , 1989.

      2) « Le Coran déchiffré selon l’amour ». Khaled ROUMO. Eds. Koutoubia, 2009, p. 36.

      3) « L’archange empourpré ». H. Corbin. Ed. Fayard, 1976, ps. 131 et 172.

      4) « La métaphysique de l’Imagination ». C. FLEURY. Ed. d’écarts, 2000.

      5) « Le traité sur le nom ALLAH ». Ibn Ata ALLAH. Traduction  M.Gloton. Ed. les deux océans, 1981. P. 35.

      6) « L’islam des théophanies ». S. AYYADA. C.N.R.S. ed., 2010. P. 192.

      7) « Le jasmin des fidèles d’amour ». de Ruzbehan de Shiraz. H. CORBIN. Ed. Verdier, 1991. P. 25.

      8) « L’archange empourpré », op.cité. P. 303.

      9) « Le Coran. Essai de traduction et annotations. » M.GLOTN. Ed. Al Bouraq, 2014.

    10) « le Coran, texte, traduction, commentaires. » H. BOUBAKER. Ed. Fayard, 1979. Vol. 2, p. 1907.

    11) « The Holy Coran, text, translation, commentaries. » Y. ALI. Ed. Amana Corporation, 1989. P. 1538.

    12) « Enfin le Royaume ». F. CHENG. Gallimard, 2018.

    13) « De l’intime, loin du bruyant amour ». F. JULLIEN. Ed. Grasset. 2013.p.14O/141.

    14) « Eloge des voleurs de feu ». D. de VILLEPIN. Gallimard. 2003. P. 662.

    15) « C. FLEURY, op. cité

    16) « K. ROUMO, op. cité.

   17) « L’imagination créatrice dans le soufisme d’Ibn Arabi. » H. CORBIN. Aubier. 1992.

   18) « L’esprit de solitude ». J. KELEN. Ed. A. Michel. 2005.

   19) « Le jasmin des fidèles d’amour », op. cité.

    20) « La fidélité ou l’amour à vif ». M. MARZANO. Ed. Buchet  Chastel 2000.

Traduction des versets coraniques  12 : 24, 19 : 9 et 19 : 67.

12 : 24 : « elle soupirait déjà après lui et il aurait soupiré après elle s’il n’avait vu le signe probant de son enseigneur. » (traduction M.GLoton).

             « elle le désira et il l’aurait désirée (traduction Y. Ali)……..avec passion (traduction Hamidullah).

19 : 9 : « je t’ai crée alors qu’auparavant tu n’étais aucune chose » (trad. M.Gloton).

19 : 67 : « l’humain n’a-t-il pas la réminiscence que vraiment nous l’avons crée alors qu’auparavant il n’était aucune chose »(trad. M.Gloton).