Prêche #24 Fête de la rupture du jeûne (Aïd el fitr) : « L’impureté » (Anne-Sophie Monsinay, 13 mai 2021)

La pureté dans le Coran

Pour saisir ce à quoi renvoie l’impureté en islam, il convient de cerner la signification de son opposé, à savoir la pureté. En effet, le Coran insiste davantage sur la pureté que sur l’impureté. Cette dernière n’est en réalité évoquée que dans certaines situations pratiques précises, qui, on le verra, ne renvoie pas exactement à cette notion d’impureté. En revanche, la notion de pureté est présente dans plusieurs versets, notamment à travers le terme zaka qui signifie dans sa racine « être pur, sans tache, croître, grandir, augmenter ». Dans son acception zaka, il signifie « croire en pureté, purifier ». De notre état de pureté dépend notre croissance spirituelle. Le Coran indique que cette purification est octroyée par Dieu qui l’offre par Amour à Ses créatures :

O vous qui avez mis en œuvre le Dépôt confié ! Ne suivez pas les pas de Satan ! Satan ordonne la turpitude et l’acte désapprouvé à qui suit ses pas. N’eussent été la faveur de Dieu et Son Rayonnement d’Amour, aucun d’entre vous n’aurait jamais eu un surcroît de pureté (zaka). Et cependant, Dieu accorde un surcroit de pureté (zaka) à qui Il veut. Dieu, Entendant, Savant. (Coran 24 : 21)

Pour accomplir cette purification, Dieu nous donne des outils à travers Sa Révélation transmise par le Prophète Muhammad, qui œuvre à renforcer cette purification :

Ainsi, Nous avons envoyé en vous un Messager issu de vous qui vous communique Nos Signes, et augmente votre pureté (zaka), et vous enseigne l’Ecriture et la Sagesse, et vous enseigne ce que vous ne saviez pas. (Coran 2 : 151)

Néanmoins, et c’est toujours le cas, la transcendance divine (l’action de Dieu sur nous) renvoie à l’immanence (nos propres actions), et bien que seul Dieu puisse nous purifier, Il ne le fait qu’avec notre consentement et notre effort :

Par une âme et Celui qui l’a bien façonnée, lui inspirant alors son dérèglement et sa garde ! Certes prospère qui l’a purifiée (zakaha), et certes frustré qui l’a amoindrie. (Coran 91 : 7-9)

Dieu accroît la guidance de ceux qui se guident bien. (Coran 19 : 76)

Nous sommes donc responsables de la purification de notre âme, qui grandira par notre investissement et nos efforts dans le chemin spirituel, avec la bénédiction et l’aide de Dieu. Par conséquent, Dieu nous éprouve pour tester notre foi, notre amour, notre endurance, et nous purifie par ces épreuves. Ces dernières fortifient notre âme, la sculpte pour lui octroyer une pleine puissance spirituelle, comme les Prophètes nous l’ont montré par leur exemple. Accepter et affronter l’épreuve envoyée par Dieu entraine une purification de l’âme qui recevra, en récompense, une purification supplémentaire de Dieu. L’âme se purifie et se fortifie en affrontant son épreuve et, en conséquence, Dieu la gratifie d’une force supplémentaire pour surmonter de futures épreuves similaires.

Ne soyez pas faibles et ne vous attristez pas alors que vous êtes au plus haut si vous mettez en œuvre le Dépôt confié. Si une blessure vous frappe, pareille blessure a certes frappé vos ennemis. Or, Nous faisons alterner de tels jours parmi les humains afin que Dieu reconnaisse ceux qui ont mis en œuvre le Dépôt confié et qu’Il prenne des témoins parmi vous. Dieu n’aime pas ceux qui s’enténèbrent d’injustice. Cela afin que Dieu purifie (mahasa) ceux qui ont mis en œuvre le Dépôt confié et qu’Il fasse disparaître les dénégateurs. (Coran 3 : 139-141)

Dans ce verset, le terme « purifier » est la traduction du mot mahasa (mim, ha, sad) signifiant « épurer, purifier, enlever des impuretés, nettoyer, polir, expurger, mettre à l’épreuve, tester ». L’épreuve purificatrice est une idée que les soufis ont repris du Coran et développé dans leurs écrits. Djalâl Ad-Dîn Rûmî l’exprime ainsi dans le Mathnawi : « En souffrant cruellement, les gens vils sont purifiés ; quand ils sont l’objet de bienveillance, ils deviennent eux-mêmes cruels. »1 Si les êtres humains sont couverts d’abondances, de biens et de pouvoirs, ils ne recherchent pas leur Seigneur. Seule l’épreuve permet aux humains de chercher la proximité divine.

La pureté dans le Coran renvoie donc à la sacralité. Les actes de dévotion, les actes de charité, la recherche des connaissances dans le chemin de Dieu sont des actions sacrées purificatrices. Est pur celui qui vit et agit dans le sacré, par des actions divines et par opposition à ce qui éloigne de Dieu. Cette purification vise à nous élever spirituellement. Dieu n’a pas besoin de notre purification. En revanche, notre âme s’en nourrit pour trouver son Seigneur :

Et qui se purifie (zaka) le fait seulement pour lui-même (Coran 35 : 18)

Par conséquent, l’impureté renvoie à ce qui est profane et en dehors du divin, d’un point de vue relatif, car dans l’Absolu, rien n’existe en dehors de Dieu.

L’impureté et les rites

1) Les ablutions

La purification par l’eau permet de nous préparer à entrer dans un acte et un temps sacré. Cette préparation vise à laisser le temps de nous couper de notre activité profane pour nous concentrer sur Dieu. D’après le Coran, les ablutions doivent être réalisées avant chaque prière :

O vous qui croyez ! Lorsque vous vous apprêtez à prier, alors lavez-vous le visage et les mains jusqu’aux coudes et humectez-vous la tête et les pieds jusqu’aux chevilles. (Coran 5 : 6)

Ce verset s’oppose donc à l’idée d’une ablution qui peut « se garder » plusieurs prières de suite. Etant donné que la fonction des ablutions est de nous préparer à entrer dans la prière, cela semble logique. A chaque fois qu’une activité profane (impure) nous occupe, il est nécessaire d’entrer dans une nouvelle préparation vers la sacralité du nouveau temps de prière (nous purifier). L’eau vise à sacraliser notre corps, notre âme et notre Esprit. C’est un des sens que l’on peut attribuer aux 3 répétitions de chaque partie du corps issues de la tradition islamique.

D’après le Coran, l’eau est la source de la vie :

Et de l’eau, Nous avons fait toute chose vivante. (Coran 21 : 30)

A ce sujet, Abdu-l-Karîm Al-Jîlî, un soufi du 15è siècle de la confrérie Qadirya (Bagdad), écrit dans son ouvrage De l’homme universel : « L’ état de pureté rituelle (at-tuhr) (exigé pour accomplir valablement la Prière) exprime la purification des défauts de l’existence contingente (an-naqâis al-kawniyyah). Le fait que la purification doive être faite avec de l’eau est une indication que les défauts dont il s’agit ne sauraient cesser que par l’apparition des effets des Qualités divines (al-sifât) qui constituent la ‘vie de l’existence’ (hayâtu-l-wujûd), car l’eau est le ‘secret de la vie’ (Coran 21 : 50 ‘Et Nous avons fait de l’eau toute chose vivante’). » 2

L’eau symbolise le souffle divin, l’Esprit divin qui est présent en toute chose, car toute chose animée est créée par le Souffle de Dieu (Rûh), de la même manière que l’eau est présente dans la matière de tout être vivant. L’eau est aussi ce qui nettoie, au sens littéral comme au sens symbolique. La pureté de l’intention au moment des ablutions est indispensable pour le nettoyage et la purification intérieure. Concernant l’aspect extérieur, nous constatons que les parties du corps citées dans le Coran pour les ablutions sont celles qui étaient exposées à l’air libre à l’époque de la révélation coranique (le visage, les mains jusqu’aux coudes par le port de tuniques à manches courtes liées aux pays chauds, la tête, les pieds). Si nous nous retrouvons dans la même situation que les récipiendaires de la révélation en été, ce sera moins le cas en hiver où nos bras et nos pieds sont généralement couverts. Nous pouvons alors nous interroger sur la pertinence de maintenir le nettoyage de ces parties du corps lorsqu’elles sont recouvertes, d’autant plus lorsque nous sommes hors de chez nous, et qu’il peut être difficile de réaliser ses ablutions. Des décisions de jurisprudence ont déjà été prises concernant par exemple la possibilité de faire ses ablutions « par dessus des chaussettes ». On en garde alors l’aspect symbolique mais on peut aussi se contenter de purifier les parties du corps exposées à l’air libre.

Le Coran fait preuve d’une grande souplesse au sujet des ablutions en permettant le remplacement de l’eau par de la terre pour se purifier lorsque l’eau n’est pas accessible. Le terme ṣa‘îd signifie « sol propre, terre, chemin ».3

Si vous êtes malades ou en voyage ou que l’un de vous revienne du lieu d’aisance ou que vous ayez “caressé” des femmes, mais que vous ne trouviez point d’eau, alors ayez-en l’intention en recourant à un sol propre dont vous toucherez votre visage et vos mains. (Coran 5 : 6)

Ce verset à lui seul démontre la grande considération et la primauté accordée au sens symbolique et ésotérique plutôt qu’à l’exotérique et à la forme. En effet, contrairement à l’eau, l’utilisation de la terre revient à se salir davantage. L’intention de l’ablution est donc plus importante que l’ablution en elle-même. Ainsi, nous pouvons également envisager une adaptation par rapport aux contraintes de nos vies modernes, par exemple ne purifier que les parties du corps qui sont à l’air libre mais aussi, lorsque ni eau ni pierre ne sont accessibles, envisager de se contenter d’une purification symbolique avec le geste et l’intention pour pouvoir accomplir sa prière à l’heure. En effet, le Coran accorde une grande importance au moment des prières. Chaque prière correspond à une position solaire précise. Nos états d’esprit et spirituel ne sont pas les mêmes à ces différents moments de la journée. Il s’agit aussi de s’accorder des pauses à différents moments de la journée pour nous consacrer à Dieu. Ainsi, on peut s’interroger sur la pertinence de rattraper ses prières. Cela n’a pas de fondement coranique et revient en réalité à prier une seule fois puisque la prière est célébrée à un seul moment. Le lien avec les positions solaires ainsi que les cinq opportunités d’adoration journalières ont un sens très profond et ne peuvent être compensées par un « rattrapage ». Ceci dit, le Coran laisse la porte ouverte à cette possibilité et chacun pourra, selon sa sensibilité spirituelle, choisir de rattraper ou de sauter une prière non accomplie à l’heure. Néanmoins, au regard du Coran, il semble plus pertinent de prier à l’heure même si les conditions – notamment des ablutions – ne sont pas idéales, plutôt que de rattraper les prières en fin de journée.

Le Coran prévoit l’absence d’eau et la solution pour y remédier (la terre), ainsi qu’une adaptation physique de la prière quand elle ne pouvait être réalisée normalement :

En cas de danger, il vous est permis d’accomplir vos prières en marchant ou en étant sur le dos de vos montures. Dès que la sécurité est rétablie, reprenez votre prière comme Dieu vous l’a enseignée lorsque vous ne le saviez pas encore. (Coran 2 : 239)

Aujourd’hui, nous ne sommes plus dans des situations de mises en danger qui justifieraient d’appliquer ces prescriptions. En revanche, nous sommes confrontés à d’autres situations – qui n’existaient pas du temps du Prophète – dans lesquels on peut, par analogie, adapter sa prière ou ses ablutions lorsque la situation nous y oblige. Par exemple, l’impossibilité de prier au travail faute de temps et de lieux, ou encore lorsque nous sommes dans les transports en commun. Cela ne relève pas des caprices de l’ego mais d’une adaptation aux circonstances, comme le Prophète l’a fait lorsque les combats ne lui permettaient pas d’accomplir sa prière. Il est en effet tout à fait envisageable de prier intérieurement et sans les postures à son bureau ou dans le métro.

2) La « grande ablution »

O vous qui croyez ! Lorsque vous vous apprêtez à prier, alors lavez-vous le visage et les mains jusqu’aux coudes et humectez-vous la tête et les pieds jusqu’aux chevilles. Et après un rapport (junuban), nettoyez-vous (ittahharû). Si vous êtes malades ou en voyage ou que l’un de vous revienne du lieu d’aisance ou que vous ayez “caressé” des femmes, mais que vous ne trouviez point d’eau, alors ayez-en l’intention en recourant à un sol propre dont vous toucherez votre visage et vos mains. Dieu ne vise pas à vous imposer de la gène mais Il veut vous purifier et parfaire sa grâce à votre égard ; puissiez-vous être reconnaissant. (Coran 5 : 6)

Le terme junub est en général traduit par « état d’impureté légale majeure ». Sa racine janaba signifie en réalité : « mettre à l’écart, éloigner sur le côté, éviter, s’écarter ». Le terme junub signifie donc « côté, flan, éloignement, retrait, distance ». Ainsi, d’après Al Ajami, le passage coranique in kunttu junuban signifie littéralement « quand vous êtes sur le côté » ou « quand vous êtes sur le flan », faisant ainsi référence aux rapports sexuels mais nullement à l’idée d’impureté. Le terme qui lui fait suite dans le verset est le verbe ittaharû traduit ici par « nettoyez-vous » et habituellement traduit par « purifiez-vous » signifie « s’éloigner, écarter, être propre, être non souillé » plutôt que « purifier » que nous trouvons dans la plupart des traductions. Ainsi ce terme renvoie davantage à l’idée d’un nettoyage plutôt qu’à une purification symbolique, comme pour les ablutions précédent la prière. La notion de purification existe dans le terme tahara mais seulement au sens figuré. Al Ajami indique que lorsque le terme tahara est à la deuxième forme, son sens figuré prédomine et il adopte alors la signification de « purifier », tel que traduit à la fin du verset : « Dieu ne vise pas à vous imposer de la gène mais Il veut vous purifier ». Il renvoie ici à l’idée de la purification symbolique qui permet de passer d’un temps profane à un temps sacré par l’intention accordée dans ce passage.
Par conséquent, il n’y aura pas réellement de « grande ablution ». Dieu prescrit l’ablution symbolique avant chaque prière d’une part, et de nous nettoyer après un rapport sexuel, sans que cela est un lien avec une éventuelle prière à venir, ni avec une purification symbolique. Cette idée est confirmée par un autre verset coranique très proche du précédent :

O croyants, n’approchez pas de la prière alors que vous êtes ivres jusqu’à ce que vous sachiez ce que vous dites. Et, de même, après un rapport (junuban) – sauf à qui est en voyage – jusqu’à ce que vous soyez nettoyés (taghtasilu). Et si vous êtes malades ou en voyage, ou que l’un de vous revient des latrines, ou que vous ayez touché des femmes, sans trouver d’eau, utilisez alors du bon sable (sol propre) dont vous toucherez vos visages et vos mains. Vraiment, Dieu Se révèle Très Pardonneur, Très recouvreur ! (Coran 4 : 43)

Ce verset est très proche du précédent. Si le terme junub est de nouveau utilisé et traduit encore une fois par « rapport », le terme traduit par « nettoyé » n’est plus tahara mais taghtasilu à la forme ightasala qui signifie sans équivoque le fait de « se laver avec application, se nettoyer, faire ses ablutions, se frotter de parfums ».4 Les rapports sexuels ne sont donc pas considérés comme « impurs » mais ils nécessitent de se nettoyer avant de revenir à Dieu, de la même manière que les ablutions visent aussi à nettoyer le corps physiquement. Dans le cadre des rapports sexuels ou d’un passage aux toilettes, l’idée est la même : tout comme on se doit d’être propre par respect pour notre entourage, on se doit de l’être pour Dieu. Le verset n’indique pas quelles parties du corps doivent être nettoyées après un rapport sexuel. Dans le verset 43 de la sourate 4, le visage et les mains sont évoqués. On peut y ajouter évidemment les parties sexuelles. En revanche, rien n’indique la nécessité de faire une « grande ablution » qui viserait à mouiller tout le corps.

L’approche linguistique, en distinguant la purification et le nettoyage, permet principalement d’adopter une vision moins péjorative de l’impureté. Car au final, sur le plan symbolique, une purification est une forme de nettoyage. Il s’agit d’un nettoyage symbolique qui s’accompagne, dans l’idéal, lorsqu’on a de l’eau, d’un nettoyage physique. Cependant, le terme « impureté » a une connotation péjorative en français. Il signifie une « corruption qui altère quelque chose ». Ces problèmes de traduction qui modifie la neutralité du sens se retrouvent avec les mauvaises traductions de islam par « soumission » ou de taqwa par « crainte ».
Les mystiques ont généralement une vision plus symbolique et plus neutre de l’impureté. Pour eux, elle désigne ce qui est autre que Dieu, c’est à dire, ce qui est profane. Le terme « profane » en français s’oppose au sacré mais n’a rien de péjoratif. Il rend plus fidèlement le sens spirituel de « l’impureté ».
Voici par exemple, la compréhension symbolique de l’impureté pour Ibn Arabi. Il fait ici référence à l’acte sexuel nécessitant la « grande ablution » ou le nettoyage :
« Quand l’homme aime la femme, il désire l’union, c’est-à-dire l’union la plus complète qui soit possible dans l’amour ; et dans la forme composée d’éléments, il n’existe pas d’union plus intense que celle de l’acte conjugal. De ce fait, la volupté envahit toutes les parties du corps et pour la même raison la loi sacrée prescrit l’ablution totale, la purification devant être totale, comme l’extinction de l’homme dans la femme avait été totale lors du ravissement par la volupté de l’union sexuelle. Car Dieu est jaloux de Son serviteur, Il ne tolère pas que celui-ci croie jouir d’autre chose que de Lui. Il le purifie donc par le rite prescrit, afin qu’il se retourne, dans sa vision, vers Celui en qui il s’est éteint en réalité, – puisqu’il n’y a pas autre chose que cela. »5
L’homme et la femme symbolise la dualité, c’est à dire deux pôles opposés caractéristiques de notre monde créé, matériel, manifesté. Avant la création du monde, Adam était Unique. Il n’était pas homme ou femme, il était l’archétype de l’humanité. Une fois créé, il devient homme et la femme né de lui. L’Unité devient dualité. Les soufis gardent cette symbolique pour parler de l’Union avec Dieu. Pour s’unir à Dieu, les opposés doivent s’Unir. C’est pour ça que l’image de l’amant et de l’aimé (du couple) est souvent utilisée par les soufis pour représenter cette aspiration vers Dieu car l’amant chercher à s’unir à son Aimée. Dans ce passage, Ibn Arabi évoque l’union charnelle, qui en est la manifestation physique car les deux corps s’unissent lors de l’acte sexuel. Cet acte aboutit a un plaisir physique très intense que les soufis associent aux extases spirituelles. Seulement, il ne s’agit pas réellement d’une expérience d’union avec Dieu car il y a un intermédiaire humain – l’homme ou la femme – qui est ici marqueur du monde créé, de la dualité, donc profane. Ainsi, cet intermédiaire profane se doit d’être purifié car il est « non sacré ». La jalousie divine n’est pas ici à comprendre comme la jalousie humaine. Dieu est autosuffisant, Il n’a pas besoin d’envier quoique ce soit de l’être humain. Il s’agit encore d’un symbole indiquant que Dieu désire que Son serviteur lève les voiles qui lui cachent la Vision de Dieu qui est la seule Réalité.

3) Les règles impliquent-elles un état d’impureté ?

La tradition considère qu’il est interdit pour une femme de prier pendant ses menstrues. Toujours est-il que le Coran est loin d’être explicite à ce sujet. Le Coran déconseille les rapports sexuels pendant les règles d’une femme en considérant cela comme une indisposition.

Ils t’interrogent quant aux règles. Réponds : « C’est une indisposition (adhâ). Écartez-vous donc des femmes durant les règles et ne les approchez qu’une fois qu’elles ne les ont plus (yathurna). Et, lorsqu’elles se sont nettoyées (tatahharna), venez à elles comme Dieu vous l’a ordonné. Certes, Dieu aime ceux qui se repentent et Il aime ceux qui se purifient (al–mutahhirîn). (Coran 2 : 222) 6

Le terme adhâ est souvent traduit par « impureté ». Là encore, ce sens ne se trouve pas dans ce mot. Ce terme renvoie à l’idée d’un « dommage, d’un tord, d’un mal, d’une indisposition ». Le sens de ce vocable ne peut être éludé de son contexte. En effet, ce verset répond à la question des menstrues en lien avec les rapports sexuels pendant ces dernières. Au vu du verset, la question devait probablement être de savoir si les rapports sexuels étaient licites pendant les règles. En effet, à aucun moment le verset n’évoque le lien entre les pratiques religieuses et les règles. Par conséquent, le terme adhâ ne désigne pas une « impureté religieuse » mais bien une indisposition vis à vis des rapports sexuels. Nous retrouvons ensuite le terme tahara dans la forme 5 qui, comme on l’a vu précédemment, signifie un nettoyage plutôt qu’une purification. Il s’agit de la même situation que les rapports sexuels vus précédemment (5 : 6). Dieu demande ici de se nettoyer et non pas de se purifier. La seule différence est que dans le cas des rapports sexuels, le nettoyage vise à l’hygiène mais aussi au retour à la prière. Alors que dans le cas des menstrues, le nettoyage vise au retour aux relations sexuelles et aucunement à la prière. Les femmes n’ont donc pas besoin de se nettoyer de leur menstrues pour aller prier, autrement dit, elles peuvent prier pendant leurs menstrues. Les juristes musulmans ont fait une surinterprétation de ce verset en considérant que cette indisposition entraînerait un état d’impureté indépendamment des rapports sexuels, et interdirait aux femmes de jeûner et de prier pendant leurs règles. Il est bien sûr possible d’adhérer à cette interprétation mais rien ne prouve de sa véracité. Or, en instaurant une interdiction sur cette question, on impose une éventuelle erreur d’interprétation à toutes les femmes, qui aboutit à une rupture du contact avec Dieu par l’impossibilité de réaliser la « liaison de grâce » auquel il nous enjoint. Cela est bien sûr inadmissible. Car aucun verset n’interdit à une femme de prier, de jeûner ou de ses rendre à la mosquée pendant ses règles.

Parmi les idées reçues sur les femmes et les menstrues, il est coutume d’entendre que les femmes ne pourraient toucher le Coran donc le lire en période de règles. Un verset coranique est mis en avant pour défendre cette idée :

Vraiment, voici un noble Coran, dans une Ecriture cachée, que seuls touchent les purifiés. (Coran 56 : 77-79)

Comme le Coran n’évoque pas d’impureté rituelle dans le cas des menstrues, ce verset ne peut donc pas viser les femmes réglées. Le Coran ne précise pas de qui il s’agit ici. A l’évidence, nous sommes face à un sens symbolique : il ne s’agit pas de « toucher » le Coran avec ses mains car le Quran signifie « récitation » et non pas un livre, surtout à l’époque où ce verset a été révélé, le texte ayant d’abord été transmis oralement. Il s’agit ici d’un « toucher » symbolique signifiant le fait d’en comprendre le sens. Ainsi, seuls les purs comprennent la profondeur du sens du Coran. Qui peut prétendre à cela ? Certains exégètes y voient les anges. Cependant, le Coran étant adressé aux êtres humains et non pas aux anges, j’y vois pour ma part davantage l’évocation d’humains réalisés spirituellement comme les grands saints soufis. Et plus nous nous purifions spirituellement, c’est à dire atteignons une forme de sagesse et de paix intérieure, plus nous toucherons le Coran et accéderons à ses significations les plus profondes. Rûmî nous dit : « Le soufi qui recherche la pureté est « le fils du temps » et ce « temps », il l’a embrassé aussi étroitement que si c’était son père. Celui qui est pur (sâfi) est plongé dans la lumière du Glorieux, il n’est le fils de personne, il est affranchi des « temps » et des « états ». Immergé dans la Lumière qui est inengendrée, « Il n’engendre pas ni n’est engendré » (Coran 112 : 3), il appartient à Dieu seul. » 7

 

1 Djalâl al-Dîn Rûmî, Mathnawi, Livre 3

2 Abdu-l-Karîm Al-Jîlî, De l’homme universel

3 Dr Al Ajami, « Les ablutions selon le Coran et en islam », https://www.alajami.fr/index.php/2018/07/27/les-ablutions-selon-le-coran-et-en-islam-s5-v6/

4 Dr Al Ajami, « Les ablutions selon le Coran et en islam », https://www.alajami.fr/index.php/2018/07/27/les-ablutions-selon-le-coran-et-en-islam-s5-v6/

5 Ibn Arabi, La sagesse des Prophètes

6 Coran 2 : 222 ; traduction par Dr Al-Ajami, « L’impureté, et l’impureté des femmes selon le Coran et en islam », Que dit vraiment le Coran ?, https://www.alajami.fr/index.php/2018/06/01/s2-v222/

7 Djalâl al-Dîn Rûmî, Mathnawi, Livre 3