« Le musulman doit explorer l’option du végétarisme » (Omero Marongiu-Perria)

La relation de l’islam, dans ses aspects cultuel et culturel, à l’animal est souvent associée à la notion d’« abattage rituel », comprise comme l’égorgement de la bête devant être réalisé selon des modalités spécifiques. Pour les musulmans vivant dans des pays à majorité non musulmane, le respect des règles relatives à la mise à mort de l’animal prennent également une dimension identitaire accrue, le rapport à l’alimentation « halal » se situant dans le noyau identitaire musulman fondant l’appartenance au groupe, indépendamment du respect des autres prescriptions religieuses.

De leur côté, les sources scripturaires musulmanes replacent la consommation de la nourriture carnée dans la façon plus globale d’envisager l’animal, en tant que personne, sa fonction dans l’organisation du monde, sa prédation, son élevage, ou encore sa mise à mort. La dimension implicite véhiculée par les textes relatifs à l’abattage est parfois déconcertante, notamment par le fait que les règles d’abattage sont évoquées de façon assez évasive ; ils semblent entériner un « mode opératoire » préexistant à l’avènement de l’islam en le réorientant dans son sens théologique – centré sur l’acte accompli pour Dieu —, tout en insistant sur le respect de la personnalité animale et sur la nécessité de replacer sa prédation dans une logique de survie.

Revenir à une véritable anthropologie coranique

Aussi, deux biais existent dans les approches contemporaines du rapport à l’animal et de sa consommation. Le premier biais réside dans la façon d’aborder la question, à travers principalement le filtre du droit musulman classique ; certes, les fuqahâ – docteurs de la loi – ont développé des taxinomies des animaux, des interprétations de l’assujettissement de l’animal à l’Homme et des règles relatives à sa mise à mort, notamment pour déterminer les catégories d’animaux licites à la consommation et les conditions minimales d’abattage rendant leur consommation également licite.

Cependant, les écoles juridiques musulmanes semblent avoir figé l’interprétation des textes, notamment dans le champ sunnite, en découplant leur dimension holistique – dans le sens d’une vision du monde globale qu’on peut en déduire – des modalités pratiques du culte et de la vie sociale, parfois fortement influencées par les contextes des sociétés d’islam à travers les âges.

La « fixation » de la « bonne interprétation » des textes a accentué l’approche des sources scripturaires à travers la dimension normative, donnant de l’islam l’image d’une religion fondée avant tout sur le respect de la norme. Pour contourner ce biais, il est donc nécessaire de revenir à une véritable anthropologie coranique, en partant du sens possible que les contemporains de Muhammad octroyaient aux mots et aux expressions coraniques, pour restituer l’univers de sens global dans lequel, de manière plausible, ils baignaient.

L’appauvrissement de la réflexion théologique musulmane

Le second biais réside dans l’accès des musulmans aux biens de consommation de masse, au vingtième siècle, lequel a bouleversé considérablement leur rapport à la nourriture carnée et leur façon d’envisager la personnalité animale.

De ce point de vue, le constat d’un appauvrissement de la réflexion théologique musulmane sur l’animal est indéniable, les débats tournant essentiellement sur les conditions de licité de la mise à mort à l’ère de l’abattage industriel. Citons ici le cas de Al-Hafiz Basheer Ahmad Masri (1914-1992), qui représente l’un des rares théologiens musulmans contemporains à avoir traité du sujet. A notre connaissance, son ouvrage intitulé Animals in Islam, paru aux éditions Trust en 1989, est le seul ouvrage exhaustif rédigé par un théologien musulman sur la personnalité animale.

L’auteur prend une position ferme vers l’orientation possible d’un végétarisme musulman consenti, sur la base d’une mise en cohérence des passages du Coran et de la Tradition prophétique. L’ouvrage est paru en français sous le titre Les animaux en islam, aux éditions Droits des animaux, en 2015. Avec une grande érudition, Masri donne une lecture possible des sources scripturaires dans la perspective d’une orientation végétarienne, dans le contexte de l’extension de l’abattage industriel.

S’engager vers un « végétarisme consenti »

Bien entendu, il serait utopique, aujourd’hui, d’envisager une orientation alimentaire végétarienne chez la masse des musulmans. Cependant les tensions, au cœur de la société contemporaine, sur la qualité globale de l’alimentation, amènent progressivement les acteurs musulmans impliqués dans la filière halal à interroger les conditions d’élevage des animaux destinés à la consommation. Cette interrogation se fait également dans un contexte de réappropriation des sources scripturaires musulmanes qui interrogent les aspects de la vision du monde qui s’est orientée, au cours du temps, dans le champ musulman, vers une « dépersonnalisation » de l’animal.

Les musulmans ont besoin, aujourd’hui, d’une approche radicale consistant à poser l’incompatibilité totale de la vision de la personnalité animale, dans les sources scripturaires musulmanes, avec les règles de l’élevage et de l’abattage industriels. A. B. Masri, pour sa part, insiste sur le « végétarisme consenti » comme orientation possible, voire nécessaire, pour le respect de l’équilibre des espèces dans l’accès et l’exploitation des ressources terrestres.

La critique croissante d’une partie de la société civile vis-à-vis de l’exploitation agressive des ressources naturelles, de l’agriculture intensive à destination de la production de viande et de l’élevage industriel ne peut qu’influencer positivement les populations musulmanes, de manière générale, et les musulmans vivant en Occident de façon particulière, sur la nécessité de repenser le rapport à l’alimentation carnée.

Dans cet ordre d’idées, l’option du végétarisme consenti trouve une assise solide, dans le champ musulman, qui peut se développer rapidement comme mode de vie à la fois alternatif et inscrit dans la Tradition religieuse primitive.

Omero Marongiu-Perria
Source : « Le musulman doit explorer l’option du végétarisme », Saphirnews, 1er février 2016